Justice des mineurs : ces caïds en larmes devant le juge

par Félin Sceptique · publié lundi 27 février 2017

Ah ! la délinquance des mineurs, c’est un peu comme le Marsupilami : beaucoup en parlent, mais peu la connaissent. Laissez-moi vous conter un peu de l’histoire du quotidien des tribunaux pour enfants, vu de l’humble observateur qu’est le greffier.

Nous sommes lundi, il est 11h30 et je suis de permanence. La permanence, c’est gérer les urgences qui se présenteraient. Et le summum de l’urgence, c’est le déferrement, cette procédure qui permet de présenter le mineur au juge des enfants directement à sa sortie de garde-à-vue. Donc, il est 11h30 et le téléphone sonne. Le petit cadran affiche 5 petites étoiles : ça sent l’appel du substitut de permanence. (Le substitut de permanence, c’est le magistrat du parquet qui décide en temps réel de l’issue des gardes-à-vue ; c’est donc lui qui décide ou non de déferrer.) Pas manqué, c’est bien le substitut. Il déferre un mineur. Le jeune sera au tribunal à 13h30 ; 13h30 en heure de parquetier, ça veut dire 14h30-15h en heure réelle. Une fois que le mineur sera dans nos locaux, il verra un éducateur de la protection judiciaire de la jeunesse qui rédigera un rapport sur sa personnalité. L’éducateur essaie aussi de s’entretenir avec les parents du jeune, pour avoir une meilleure approche de sa situation. Le mineur verra aussi l’avocat de permanence, puisque l’avocat est obligatoire pour les moins de 18 ans.

De mon coté, je me renseigne sur mon client du jour. Ça me permet de faire une recherche d’antécédents. A-t-il un casier judiciaire ? Est-il connu pour d’autres affaires ? Est-il connu en matière de protection de l’enfance ? Son âge aussi est très important, car la procédure varie légèrement s’il a plus ou moins de 16 ans au moment des faits. Mon client du jour donc, s’appelle Jean-Jacques, il a 16 ans et 3 mois, deux dossiers en cours, un pour des vols avec violences et un autre pour un trafic de stupéfiants. Cette fois, Jean-Jacques vient nous voir pour des violences volontaires, avec armes et en réunion. Bref, Jean-Jacques et ses copains ont trouvé rigolo de se mettre à plusieurs pour taper sur quelqu’un.

Le temps de sortir mes antécédents, voilà que le substitut de permanence m’apporte en personne le dossier. Il veut voir le juge des enfants à propos de l’affaire. Je tends l’oreille, car si le parquetier se déplace, c’est que l’affaire est sensible. Et en effet, il s’agit d’un énième règlement de compte entre les jeunes de deux villes voisines. Un vrai cycle de représailles, digne des Capulet et Montaigu, qui dure depuis plusieurs mois et auquel la police et le parquet espèrent pouvoir mettre fin.

Cette fois, Jean-Jacques et ses potes n’y sont pas allés de main morte. Armés de bâtons télescopiques, ils se sont mis à quatre sur un autre jeune de la ville voisine. Par chance, le gaillard est de solide constitution et s’en sort avec une ITT de 21 jours. Une chance aussi qu’une passante, qui a assisté à la scène, ait appelé la police et que cette dernière soit intervenue rapidement.

Jean-Jacques, lui, est en garde-à-vue depuis samedi soir. Le parquet demande son placement sous contrôle judiciaire, une mesure de surveillance contraignante, avec une liste d’obligations et d’interdictions longue comme mon bras. Les autres jeunes avec lui sont majeurs, ils auront le droit à la comparution immédiate avec probablement de la prison ferme à la clé.

Dans le couloir, je croise une femme qui semble perdue. « Vous cherchez quelque chose Madame ?
— Oui, la police m’a appelé. Elle m’a dit de venir, que mon fils allait voir un juge.
— Il s’appelle comment votre fils ?
— Jean-Jacques.
— D’accord. Il va passer devant le juge des enfants.
— Vous savez à quelle heure ?
— Non, je ne peux pas vous dire. Il n’est pas encore arrivé au tribunal et il doit encore voir l’éducateur. Vous l’avez vu vous l’éducateur ?
— Euh, non. On ne m’en a pas parlé ».
Je l’invite à me suivre à la permanence éducative. Un peu plus tard, je la croise de nouveau. Elle est assise sur les sièges à coté du bureau du magistrat avec lequel je travaille. Elle me regarde pleine d’espoir et m’adresse un sourire timide, visiblement gênée, pas à sa place.
« Votre fils est arrivé au tribunal. On attend le rapport de l’éducateur et on pourra commencer l’audience, ça ne devrait plus être long. »
Elle me remercie, semble rassurée. Puis elle me demande :
« Vous pensez que je pourrais aller aux toilettes ? Je suis ici depuis deux heures mais je n’ose pas y aller, je voudrais pas rater mon fils. »
Je lui souris et lui assure qu’elle a le temps d’aller se soulager, qu’on l’attendra pour prendre l’audience. Ça a quelque chose de grotesque cette scène : une femme d’une quarantaine d’année, mère de famille, qui demande à une greffière de 26 ans l’autorisation d’aller au petit coin.

Il est 16h00 lorsque l’éducateur vient nous rendre son rapport. Curieuse d’en savoir plus sur Jean-Jacques, que j’imagine avoir le physique du rappeur 50 cents, j’y jette un œil. Jean-Jacques est le cadet d’une fratrie de trois enfants. Maman Jean-Jacques a quitté Papa Jean-Jacques. Elle a fini par en avoir marre de se faire taper dessus. Actuellement, ils vivent dans un foyer accueillant des femmes victimes de violences. Jean-Jacques ne voit plus son père. D’ailleurs, il ne veut même pas en parler et se braque dès qu’on aborde la question. Classique. L’école, c’est pas trop son truc. D’ailleurs, il n’y va plus. Il n’a pas le brevet des collèges et pas tellement d’idée de ce qu’il veut faire plus tard. Dans son dossier de stupéfiants, le juge des enfants a ordonné une mesure de réparation mais Jean-Jacques ne va pas aux rendez-vous. Il n’a pas le temps, il a oublié, le train circulait pas. Bref, Jean-Jacques est le cas typique du jeune au passé familial douloureux, en déserrance, incapable de saisir les mains qu’ont lui tend.

J’apporte le rapport au magistrat. J’appelle le dépôt, l’endroit où attendent les personnes sous escorte policière. Je veux savoir si l’avocat a vu son client. On me confirme qu’ils sont en train de s’entretenir. Je demande à ce qu’on amène Jean-Jacques devant le juge dès qu’ils ont terminé. Quelques minutes plus tard, l’avocat m’apprend qu’ils sont prêts. L’audience va commencer. Je découvre enfin Jean-Jacques et je dois dire que je suis déçue. Un visage encore rond, plutôt enfantin. De taille et de corpulence moyenne. Et une épaisse tignasse rebelle. Bref, pas grand chose à voir avec 50 cent. Je fais entrer Jean-Jacques, son avocat et sa mère. Les policiers entrent également. L’un d’eux retire les menottes du jeune, qui se frotte les poignets.

Et c’est parti pour le jeu de questions-réponses. Jean-Jacques reconnaît les faits. Il faut dire qu’il a été pris en flagrant délit, matraque à la main, en train de taper sur la victime. Il s’exprime peu. Ses réponses sont courtes. C’est loin d’être la grande-gueule qu’on s’imagine en lisant le dossier. Pas de provocation, pas de ton de défi. Quand le juge des enfants lui parle des blessures subit par la victime, Jean-Jacques garde la tête baissée, les yeux rivés sur le sol. Il ne répond pas. Sa mère intervient : « Mais dis quelque chose ! Explique-toi ! ». C’est plus une supplique qu’une injonction. Mais son fils reste muet.

Le juge des enfants aborde la personnalité. Il commence par lire le rapport, parle de la vie familiale de Jean-Jacques, des violences conjugales dont il a été témoin, de son père. Tête baissée, à peine audible, il répond simplement « Je veux pas en parler ». Il explique au mineur que le procureur de la République demande qu’il soit placé sous contrôle judiciaire, une mesure de surveillance. « Il demande que vous respectiez une obligation de placement, dans un centre éducatif renforcé. Qu’en pensez-vous ?
— Oui, l’éducateur m’en a parlé. Mais je veux pas y aller moi, dans leur centre. Ça veut dire quoi ? Que je ne vais plus voir ma mère ? C’est pas possible ça Monsieur !
— Si j’ordonne le placement, vous n’aurez pas le choix. Parce que si vous ne respectez pas vos obligations, je saisirai le juge des libertés et de la détention pour vous faire incarcérer.
— Incarcérer ? Ça veut dire quoi ? La prison ?
— Oui, ce sera la prison »
Jean-Jacques se tait. Il semble réfléchir. Puis il déclare d’une voix basse, un peu voilée :
« Si j’ai pas le choix, je vais respecter votre surveillance, comme vous avez dit. Mais, je préférerai rester chez ma mère. Sans elle... sans elle, je vais péter un câble... »

Le juge des enfants interroge ensuite la mère de Jean-Jacques. Elle explique : « C’est pas un mauvais garçon. À la maison, il est toujours gentil. Mais il n’est pas souvent là, il est tout le temps sorti et moi je ne sais plus quoi faire. Je n’ai pas envie qu’il parte mais si ça peut l’aider, je suis d’accord. Je comprends pas pourquoi il est comme ça. C’est ses copains, ils l’entraînent dans des trucs pas possible. Et moi je ne le vois jamais. J’ai peur de ce qu’il va devenir. Je veux pas qu’il aille en prison ».
La mère de Jean-Jacques se met à pleurer. Le magistrat interroge le jeune homme :
« Vous vous rendez compte que votre comportement fait souffrir votre mère ? Vous comprenez qu’elle s’inquiète pour vous quand vous restez dehors toute la soirée, qu’elle ne vous voit pas, qu’elle ne sait pas où vous êtes ? »
Jean-Jacques relève la tête pour regarder sa mère. Cette fois, c’est lui qui fond en larmes. Dans le bureau, le silence est pesant. On entend seulement les reniflements de la mère et du fils. Même moi, j’ai arrêté de taper sur mon clavier. Je les observe. J’étudie le visage de Jean-Jacques. Celui que j’imaginais quelques heures plus tôt comme un caïd endurci, et qui finalement se révèle n’être qu’un gamin paumé.

C’est au tour de l’avocat de plaider, de montrer Jean-Jacques sous un jour différent. Il parle de ses difficultés mais aussi de la passion du jeune homme pour la cuisine. Finalement, Jean-Jacques repartira avec une mise en examen et un contrôle judiciaire assorti notamment d’une obligation de placement. Le placement commence immédiatement : Jean-Jacques, accompagné d’un éducateur, va simplement passer chez lui pour prendre ses affaires et partira le soir même au centre éducatif renforcé.

L’audience est levée. Maman Jean-Jacques remercie chaleureusement le juge des enfants. Elle avait si peur qu’il soit incarcéré. Jean-Jacques aussi a senti le vent du boulet, il regarde sa mère, comme pour avoir son approbation et adresse un bref « merci » au magistrat avant de sortir.

La justice pénale des mineurs, au quotidien, c’est l’éternel rappel d’une évidence qu’on oublie très vite dans les discours politiques et médiatiques : le juge des enfants juge des enfants. L’oublier, c’est faire perdre tout son sens à la sanction appliquée au mineur. L’adolescent est un adulte en devenir, qu’il convient avant tout d’éduquer ou de rééduquer. Abaisser la majorité pénale comme le propose certains élus, et récemment M. Fillon, c’est interdire de prononcer à l’égard des 16–18 ans des mesures ou des sanctions éducatives, et donc s’interdire d’œuvrer au mieux pour leur insertion. Il faut rappeler que mesures éducatives et peines peuvent se cumuler. Il ne s’agit donc pas d’être moins sévère. Surtout, les juridictions pour mineur appliquent de manière accrue le principe de personnalisation de la peine, qui existe aussi pour les majeurs. Et, que la sanction soit une mesure éducative ou une peine, plus elle est adaptée à la personnalité du condamné, plus elle est efficace. C’est cette efficacité, qu’il convient à tout prix de préserver.

Note

L’illustration a été empruntée au reportage Des juges et des enfants.

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