Visée aux vents

par Jean Massard · publié mercredi 30 octobre 2019 · ¶¶¶

Les Pièces de théorbe et de luth mises en partition, dessus et basse de Robert de Visée étaient-elles écrites à l’origine pour luth et théorbe, puis publiées en 1716 pour instrument de dessus et instrument de basse, le compositeur tirant ainsi bénéfice d’une publication destinée à une formation chambriste ? S’agit-il d’œuvres pour luth ou théorbe notées d’une manière telle qu’on puisse les lire plus aisément que les tablatures, auxquelles le compositeur assume de ne pas recourir dans l’Avertissement qu’il fait pour son édition (rien ne semblerait justifier, alors, une telle interprétation à plusieurs instruments) ? En tous cas, malgré cette interrogation de genre, on peut saluer les musiciens qui s’attellent à une musique qui n’est assurément pas des plus clémente, et dont ils ont l’audace de livrer une intégrale. De plus, l’ensemble de ces suites ici enregistré est complété par des transcriptions pour dessus et basse du Livre de pièces pour la Guitare dédié au Roy et d’autres pièces du même de Visée, approchant l’option « pièces de théorbe et de luth » transcrites pour le recueil de 1716.

On est ici dans l’architecture versaillaise : détaillée, ciselée, noble et précise, bien que tout doive rester souple et agile. C’est la maîtrise parfaite de l’instrument que cherche cette musique, feignant de ne rien vouloir tirer profit de la virtuosité. Non, ce qui est compliqué, c’est d’arriver à l’évidence qui, faisant oublier le moindre travail, laisse presque transparaître une certaine nonchalance. On désire tout jouer et tout entendre comme si c’était naturel, et c’est la grande complexité de ce style.

Les flûtes à bec et la flûte traversière baroque de Manuel Strapoli trouvent ici leur juste place, précises et efficaces, menées avec un son pur dont on a supprimé tout le superflu jusque dans l’ornementation qui, discrète, préfère le texte à des fleurs qui auraient pu cacher la vraie trame de la partition. Dans la « Sarabande » de la Suite en do mineur, on est d’ailleurs surpris par une voix contraltiste qu’on finit par reconnaître comme n’étant que la flûte ténor, d’un grave intense dans ce rondeau en catabase que descend la basse de viole sobre et austère de Rosita Ippolito. Elle installe tout au long de l’enregistrement, en alternance avec l’autre violiste Cristano Contadin un fond sur lequel viennent se poser les autres instruments. C’est un aplat très sobre mais qui donne tout son confort au sujet et en marque le volume. Cependant, de temps à autres, on pourrait attendre plus de folie et peut-être même de légèreté de la part des musiciens, pour savoir mieux apprécier la précision et la grande simplicité de l’ensemble. Mais, il faut le reconnaître : les moments confiés uniquement à la basse de viole et à la flûte (piste 17, cd 2, par exemple) sont d’une intense communion et d’une fluidité surprenante, laissant admirer avec finesse le squelette même de la musique réduite à deux lignes humbles, tout comme lorsque Lorenzo Cavasanti partage quelques pistes avec Stapoli pour interpréter des suites à deux flûtes : l’ensemble est ainsi très en osmose et pareillement épuré, peut-être plus janséniste que versaillais bien qu’on imaginât mal Port-Royal des Champs s’agrémenter de musique de chambre.

On apprécie aussi le choix fait d’utiliser, sans retenue, le théorbe pour tenir la basse chiffrée. On joue ainsi « à la chambre » avec ce petit ensemble mobile et parfaitement équilibré ; et tant au niveau musical qu’historique (Robert de Visée n’était-il pas guitariste du roi ?), c’est proche d’une vérité qui charme profondément. Massimo Marchese est admirable dans la finesse de son continuo et dans la pertinence du discours des petites pièces pour théorbe seul disséminées dans le coffret. Il est touchant parce que c’est simple et tendre. Pour exemple, Les Sylvains de Couperin qui, tout en étant d’une douceur idéale, sont joués très humainement, guidant notre oreille vers l’homme qui est derrière l’instrument. Quant à Manuel Tomadin, lorsque son clavecin prend le relai du continuo, il élargit l’espace de la musique par une basse très élégante et qui vient apporter une touche de brillance sur le tableau d’un salon qu’on imagine vibrer de cette musique dans une douce pénombre.

Pour ce qui est des pièces confiées aux instruments seuls, elles nous révèlent des musiciens puissants en émotion, mais aussi très différents par leur caractère et leur jeu, paraissant tantôt plus « fragiles », tantôt plus « assumés »… On perçoit ainsi combien des musiciens fort différents, peuvent si bien se compléter et trouver un équilibre puissant par la finesse.

Ainsi, même en formulant quelques interrogations quant à la pertinence de telles transcriptions du monument de la musique française qu’est la musique de Visée, on avoue se surprendre à gigoter à l’écoute de certaines de ces pièces de caractères. Car cette musique de grâce, de noblesse, de pureté, est profondément plaisante : c’est celle de l’agrément, d’une cour hédoniste ou qui s’en réclame, et c’est le témoin d’une période toujours fascinante, au cœur même de sa plus haute société : celle de la chambre du roi.

INFORMATIONS

Robert de Visée, La Musique de la Chambre du Roy

Manuel Strapoli, traverso et flûtes à bec
Lorenzo Cavasanti, flûtes à bec
Massimo Marchese, théorbe
Cristiano Contadin, viole de gambe
Manuel Tomadin, clavecin

3h50, Brilliant Classics, 2018 (enregistré en 2015).

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