État d’urgence III, la revanche

par Félin Sceptique · publié samedi 30 juillet 2016

21 juillet 2016, nouvelle loi sur l’état d’urgence. On pourrait penser qu’après un dossier et un article bilan, il n’y a plus rien à dire sur le sujet. Et pourtant ! Chaque prorogation apporte son lot de surprises. Car ne nous y trompons pas, la loi no 2016-987 du 21 juillet 2016 ne se contente pas de rallonger de 6 mois l’application de l’état d’urgence, elle modifie une nouvelle fois les dispositions de la loi du 3 avril 1955. Mieux encore, elle contient un titre II « fourre-tout » relatif « au renforcement de la lutte antiterroriste », qui n’a plus rien à voir avec l’état d’urgence.

On est face à une véritable fuite en avant législative. En moins d’un an, la loi de 1955 a dû être modifiée deux fois. Quant à la lutte contre le terrorisme, cette communication du gouvernement est édifiante : « Pour assurer la sécurité des Français, le Gouvernement a complété l’arsenal juridique notamment avec la loi du 13 novembre 2014 relative à la lutte contre le terrorisme, et avec la loi sur le renseignement du 24 juillet 2015. […] La loi renforçant la lutte contre toute le crime organisé et le terrorisme a été promulguée le 3 juin 2016 » [source]. On en est donc au 4e texte en dix-huit mois.

Simple suggestion : au lieu de se précipiter pour sortir des textes de mauvaises qualité qui ont besoin d’être remaniés à de nombreuses reprises, peut-être pourrait-on se poser et voter des textes finis, réfléchis dont l’application serait pérenne. Enfin après, je dis ça, moi…

Quelques nouveautés

Passé l’étonnement de cette énième reforme, intéressons nous à son contenu. Et quel contenu ! Prenons le merveilleux article 3 2°, modifiant l’article 8 de la loi de 1955 : « Les cortèges, défilés et rassemblements de personnes sur la voie publique peuvent être interdits dès lors que l’autorité administrative justifie ne pas être en mesure d’en assurer la sécurité compte tenu des moyens dont elle dispose. » Ah bah désolé Madame, mais là on va être obligé de violer vos droits constitutionnels parce que, bon, vous comprenez, on manque de moyens ! Ça se passe de tout commentaire. Après on tente quoi ? Un petit : « ah vous voulez faire un recours contre votre assignation à résidence. Hum, le problème c’est qu’on a coupé les budgets de la justice administrative, du coup, on n’a plus de magistrat pour statuer sur votre demande, zut alors ! » C’est au gouvernement de se donner les moyens de son action et certainement pas aux administrés de s’accommoder d’une gestion budgétaire contestable. J’attends avec impatience que cette disposition magique arrive devant un juge.

Comble du merveilleux, cet ajout est parfaitement inutile puisque l’état d’urgence permettait déjà d’interdire des rassemblements… De l’art de se tirer une balle dans le pied ; je vous laisse admirer.

D’ailleurs, au rang des ajouts qui ne servent à rien, à part à crisper un peu plus la société française, on peut citer le 1° de cet article 3 qui ajoute à l’article 8 de la loi de 1955 ce morceau de phrase : « en particulier des lieux de culte au sein desquels sont tenus des propos constituant une provocation à la haine ou à la violence ou une provocation à la commission d’actes de terrorisme ou faisant l’apologie de tels actes. » Les anciennes dispositions permettaient déjà la dissolution des « mosquées radicales », par sa généralité. Donc, à part à viser, à demi mots, les lieux de cultes musulmans, et donc à stigmatiser un peu plus une population qui n’en a pas besoin, cet ajout ne sert à rien.

Bon, cessons la médisance et observons les vrais nouveautés du texte. L’article 4 de la loi du 21 juillet crée un article 8-1 qui permet au préfet d’autoriser les officiers de police judiciaire à effectuer des contrôles d’identité, voire des fouilles, voire des fouilles de véhicules. Bon, en fait, c’est juste un transfert de compétence du procureur de la République vers le préfet. Dont je ne saisis pas très bien l’utilité dans la mesure où les magistrats du parquet sont dépendants de l’exécutif au même titre que les préfets. Enfin, c’est assez symbolique.

En plus de pouvoir être fouillés sans raison dans les gares et les stations de métro par les agents de sécurité de la SNCF et de la RATP, vous allez pouvoir l’être n’importe où dans la rue ! Personnellement, ça fait trois week-end de suite que je me rends à Paris, trois week-end de suite que j’assiste à des contrôles et/ou fouilles et/ou interpellation. J’ai beau travailler dans un tribunal, j’aurai jamais vu autant de paires de menottes que dans les gares et station de métro depuis le début de l’état d’urgence.

Mais bon, paraît que c’est pour nous protéger. Comme les perquisitions administratives. Là, on a réécrit l’article 11 de la loi de 1955 pour permettre la saisie de données informatiques, vu que le vilain Conseil Constitutionnel avait déclaré l’ancienne version contraire à la Constitution. On donne au juge administratif compétence pour contrôler les opérations de saisies et autoriser l’exploitation des données. Je trouve cela moyennement opportun.

Je ne remettrais pas en cause l’indépendance des magistrats administratifs, ils l’ont suffisamment démontrée par un contrôle de plus en plus pointilleux des actions de l’administration. En revanche, ils sont nettement moins habitués que leurs homologues judiciaires à ce contentieux. Pourquoi ne pas confier ce contrôle au juge des libertés et de la détention, qui peut statuer également dans des délais très courts et qui est compétent en la matière pour les enquêtes préliminaires ?

Autre nouveauté en matière de perquisitions, pendant les opérations, les officiers de police ont la possibilité de retenir les personnes concernées, sur place, pour une durée maximale de 4h. C’est connu, quand on perquisitionne chez vous, souvent, on vous propose d’aller faire une petite balade, ou un footing ! Cela appelle deux remarques. D’une part, les policiers ont intérêt à être sacrément rapide car 4h pour une perquisition c’est très court ! (Je vois d’ici une nouvelle épreuve pour Fort Boyard !) D’autre part, cette disposition concerne également les mineurs dont la retenue doit être spécialement autorisée par le procureur de la République. Quant à savoir ce que l’on fait d’un mineur pendant une perquisition, il est laissé aux bons soins des forces de l’ordre de s’en dépatouiller. Il aurait été opportun de prévoir un dispositif social permettant l’éloignement temporaire de l’enfant pendant les opérations. En effet, la perquisition est déjà un acte intrusif et traumatisant pour un adulte, je vous laisse imaginer ses effets dévastateurs sur un enfant, qui va voir ses jouets retournés, cassés, son matelas éventré et peut-être certaines de ses affaires saisies. Insérer à la va-vite une telle disposition est une belle connerie !

En cherchant bien, on peut tout de même trouver une timide amélioration dans la protection des droits avec l’article 6 qui modifie l’article 14-1 de la loi de 1955. Désormais la condition d’urgence, permettant de saisir le juge administratif d’un recours en référé est présumée remplie en matière d’assignation à résidence. Les assignés à résidence n’auront donc plus cette preuve à apporter.

La deuxième partie de la loi

Passons à présent à la deuxième partie de la loi « portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste ». S’il existait des compétitions de cavaliers législatifs (dispositions législatives insérées dans une loi avec laquelle elles n’ont pas de rapport direct), je vous conseillerais de parier sur celui-ci ! Là, on peut séparer les dispositions en deux catégories : celles qui ont un véritable lien avec la lutte contre le terrorisme et celles qui relèvent du véritable « fourre-tout » législatif.

Commençons par ce qui a un rapport avec le terrorisme, mais pas avec l’état d’urgence :

– Les personnes condamnés pour des faits de terrorisme ne pourront plus bénéficier de placement extérieur, de semi-liberté et de crédit de réduction de peine. Si ça peut paraître une bonne chose, en réalité, cela en fait des détenus ingérables. En effet, ces mesures « bonus » sont un peu la carotte. Si un détenu se tient bien, il conserve ses réductions de peine. S’il est vilain, on lui retire. Avec cette disposition, on perd donc un moyen de pression sur le détenu, qui n’aura donc pas grand intérêt à éviter les mesures disciplinaires. Les surveillants pénitentiaires apprécieront sûrement cette nouvelle difficulté dans la gestion de détenus déjà difficiles. Quant aux placements extérieurs et semi-libertés, ce sont des mesures qui permettent d’exécuter la peine en partie hors des murs de la prison, généralement en exerçant une activité professionnelle. Elles favorisent la réinsertion des détenus. Donc finie la réinsertion pour les terroristes. C’est sûr que ça va aider à en faire de bon citoyen à leur sortie.

– Prolongation de la durée maximale de détention provisoire pour les mineurs suspectés de terrorisme. Par contre, on reste sans nouvelle du projet de réforme de la justice des mineurs.

– Alourdissement des peines en matières de terrorisme, notamment la peine d’interdiction du territoire français.

– Autorisation de l’espionnage (je n’ai pas d’autre mot) sur les réseaux de personnes « suspectés d’être en lien avec une menace » mais aussi de leur entourage dès lors qu’il est « susceptible de fournir des informations » et on facilite la récolte de données. Vous admirerez la très grande précision de ce texte, qui d’ailleurs, aurait été drôlement bien dans une loi sur le renseignement...

Jusque là, on voyait encore le rapport avec le terrorisme. En revanche, après ça se corse. Parmi les autres mesures on retrouve :

– la possibilité de filmer un détenu à l’isolement en permanence. C’est marrant, ça me rappelle un truc à propos d’un avocat qui avait soutenu l’absence de base légale d’une telle mesure… Comme quoi, un arrêté ça suffisait pas, qu’il fallait une loi... Maintenant, on a un bel article 58-1 qui vient compléter la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, qui ne prévoyait la vidéosurveillance que dans les parties communes des lieux d’incarcération. Ici, le texte se contente de reprendre les dispositions de l’arrêté du 9 juin 2016 qui permet de filmer les prévenus en détention provisoire « placés sous mandat criminel lorsque leur évasion ou leur suicide pourrait avoir un impact important sur l’ordre public eu égard aux circonstances particulières à l’origine de leur incarcération et à l’impact de celle-ci sur l’opinion publique ». Bon par contre, après leur condamnation ils peuvent s’évader ou se suicider, là on s’en fout ! Mais du coup, mandat de dépôt criminel, c’est pour tous les crimes… y compris de droit commun et pas seulement le terrorisme... J’entends comme des bruits de sabots...

– on généralise la possibilité pour les policiers municipaux de porter une arme ;

– on facilite le recrutement des réservistes de la police nationale ;

– on prévoit la création par le conseil supérieur de l’audiovisuel d’un code de bonne conduite relatif à la couverture audiovisuelle d’actes terroristes. Je suis assez mitigée quant à cette mesure. Il y a certes eu une couverture médiatique désastreuse des attentats. Pourtant, imposer un « code de bonne conduite » ne me paraît pas être une bonne solution. D’abord c’est limite humiliant pour les journalistes qui sont fortement infantilisés, ce qui ne va pas les encourager à repenser leur façon de travailler. Ensuite, il faut bien avoir conscience que les erreurs, voire fautes, commises dans le traitement médiatique des attentats sont en très grande partie liées à l’inexpérience : le traitement en temps réel d’attentats, c’est un peu nouveau en France. Si une réflexion de la profession est évidemment nécessaire, un échange entre les différents professionnels, et ce du monde entier et une amélioration de la formation me semblent être des solutions plus opportunes. Du reste, une telle disposition n’a absolument pas sa place dans une loi sur la lutte contre le terrorisme. Elle jette un discrédit sur la profession en mettant cote-à-cote sanctions contre les terroristes et méthodes de travail journalistique.

Conclusion

Que dire en résumé ? Que toutes ces dispositions auraient parfaitement pu être prises dans le cadre d’une des nombreuses lois visant à lutter contre le terrorisme votées ces dernières années. Pourtant, elles sont venues se glisser dans une loi de prorogation de l’état d’urgence, une loi rendue peu lisible.

On instrumentalise ici l’émotion et la douleur suscitées par l’attentat Nice, pour ajouter des mesures liberticides. On profite d’une procédure législative rapide pour limiter le débat. Et surtout, on espère qu’elles passeront inaperçues, les Français ayant encore les yeux embués de larmes. Pourtant, il ne faut pas se laisser tromper par ce procéder pernicieux. Sur 21 articles que contient la loi du 21 juillet 2016, seuls 7 concernent l’état d’urgence. Les 14 autres ont vocation à s’appliquer tous les jours, même après l’état d’urgence.

Le Président turc, Recep Tayyip Erdogan, aux critiques de l’Europe sur la dictature qu’il est en train d’instaurer dans son pays a rétorqué que la France avait bien mis en place l’état d’urgence. Il est grand temps que nous cessions d’être un alibi pour autocrate. Il est grand temps que nous cessions d’adopter des lois mal écrites, liberticides et mal comprises et que nous commencions à réellement lutter contre le terrorisme, en nous dotant d’une action publique cohérente avec des moyens adéquats pour la mener.

Note

L’illustration de Chaunu a été empruntée à Ouest France.

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