Pédé, c’est homophobe ? Regard d’une juriste

par Félin Sceptique · publié lundi 11 avril 2016

La récente décision du conseil des prud’hommes de Paris, jugeant qu’il n’est pas discriminatoire de qualifier un employé de « pédé » a beaucoup scandalisé. Rappelons rapidement les faits. Jean-Jacques est en période d’essai dans un salon de coiffure. Son employeur met fin à sa période d’essai. Jean-Jacques, mécontent, saisi le conseil des prud’hommes pour contester la rupture du contrat. Il argue que cette rupture est discriminatoire, et ce en raison de son orientation sexuelle. Au soutien, il fournit un sms de son employeur, qu’il a reçu par erreur : « Je ne garde pas X., je le préviens demain, […] je ne le sens pas ce mec : c’est un PD, ils font tous des coups de putes1. »

Mais pour le conseil des prud’hommes, il n’y a pas discrimination. En effet, il est bien connu que les salons de coiffure embauchent des homosexuels, donc il n’existe pas dans ce milieu de discrimination envers les gays. En revanche, le conseil retient que Jean-Jacques a été insulté et lui accorde 5 000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice moral. Jean-Jacques décède d’une syncope en lisant un truc aussi con. Bon ok, ça j’invente, mais le reste est vrai.

Personnellement, ce qui me choque le plus dans cette décision, ce n’est pas le fait que le Conseil ait jugé que la rupture de la période d’essai n’était pas discriminatoire, même s’il a tort, mais la motivation même du conseil, qui est empreinte d’homophobie. Alors, « pédé » insulte homophobe ou non ? Les coiffeurs sont-ils tous gays ? Tout vous sera révélé !

Insulte ou abus de langage ?

Le mot « pédé », nous l’avons probablement tous utilisé au moins une fois dans notre vie. Que ce soit dans la cour de récré ou derrière son volant pour qualifier l’automobiliste qui vient de vous faire une queue de poisson. Était ce pour autant homophobe ? Pas nécessairement. Insultant ? Certainement. Hors de tout contexte lié à l’homosexualité, l’insulte de « pédé » n’est qu’une insulte. Dans ce cas, il s’agit clairement d’un abus de langage, et s’il est révélateur d’une homophobie latente, c’est de celle de la société elle-même à laquelle on ne peut se défendre d’appartenir, ou de son langage. Le droit ne saurait donc considérer qu’en toute circonstance l’usage du mot « pédé » est discriminatoire ou homophobe.

En revanche, dans le cas jugé par les prud’hommes, le terme « pédé » est clairement homophobe. En effet, le sms reproché à l’employeur ne se contente pas de qualifier l’employé de « pédé ». En écrivant, « c’est un PD, ils font tous des coups de putes », il offre un magnifique cliché péjoratif sur les homosexuels, ce qui est, en tant que tel, homophobe. De même que de dire que « les Juifs aiment l’argent » ou « les conseillers prud’hommes sont des débiles », faire des généralités en fonction de l’appartenance à un groupe (lié à l’ethnie, la religion, l’orientation sexuelle) est discriminatoire.

De plus, l’employeur associe directement le fait que l’employé soit homosexuel à la rupture du contrat « Je ne garde pas X., je ne le sens pas ce mec : c’est un PD ». Il est à rappeler que l’objet de la période d’essai est pour l’employeur « d’évaluer les compétences du salarié dans son travail, notamment au regard de son expérience », non ses pratiques privées, et cette période ne peut être rompue pour l’unique raison que l’orientation sexuelle de l’employé déplaît. Ici, non seulement l’injure est aggravée par la circonstance (parce qu’elle est discriminatoire), mais la rupture du contrat de travail est également discriminatoire (puisque directement liée à l’orientation sexuelle, vraie ou supposée, de l’employé). Ajoutons que l’employeur a eu l’intelligence d’avouer de lui-même l’illégalité de son motif de rupture, ce qui est tout de même assez brillant.

« De toute façon, tous les coiffeurs sont gays »

Est-il utile que j’argumente sur une motivation d’un tel degré de connerie ? Le conseil des prud’hommes considère, très sérieusement (car c’est une institution sérieuse), que dans la mesure où il est fréquent que des salons de coiffure embauchent des homosexuels, l’homosexualité n’est pas un problème dans ce milieu et par conséquent, les personnes travaillant dans les salons de coiffure ne peuvent être homophobes. C’est un peu du même niveau que de dire que « parce que mon employée de maison est noire, ça prouve que je ne suis pas raciste, du coup je peux l’appeler “négresse” ».

D’une part, ce n’est pas parce qu’il y a des homosexuels qui travaillent dans la coiffure qu’il n’y a pas de coiffeur homophobe. Une telle allégation n’est pas circonstanciée. Admettons que le milieu de la coiffure embauche aisément des homosexuels, qu’en est-il du salon de Jean-Jacques ? La justice ne statue pas sur un « milieu », mais sur un cas précis.

D’autre part, affirmer qu’il y a de nombreux homosexuels parmi les coiffeurs est justement un cliché aux vagues relents d’homophobie, et il est assez gênant de le voir repris dans un jugement, de la part de juges, certes non professionnels, mais qui œuvrent tout de même au nom du Peuple français, dans un service public dont l’un des principes fondateurs est l’égalité. Je ne sais pas dans quel contexte a été rendu ce jugement, mais j’ai beaucoup de mal à admettre que des juges, élus par leurs pairs, ainsi qu’un greffier des services judiciaires, fonctionnaire d’État, aient signé une ânerie pareille. Personnellement, en tant que greffier, j’aurais refusé de signer un tel jugement.

Je n’ai rien contre les conseillers prud’homaux ; j’ai eu l’occasion de travailler avec eux et ils sont une ressource précieuse. Contrairement à des juges professionnels parfois déconnectés des réalités, ils ont une réelle connaissance du monde du travail. Certains font de gros efforts pour combler leurs lacunes juridiques, en se reposant parfois sur des greffiers extrêmement compétents. Pourtant, je crois réellement qu’il faut revoir leur mode de recrutement. La politique nous a montré (et nous montre encore) que n’importe quel imbécile peut être élu. Or, nous avons assez d’imbéciles pour faire les lois, pas la peine d’en avoir pour (mal) les appliquer.

Note

1. N’ayant pas le jugement complet du Conseil des Prud’hommes, les éléments de faits utilisés dans cet article sont ceux lus dans la presse, notamment cet article du journal Le Monde.

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