par Félin Sceptique · publié mardi 5 avril 2016
Quelques jours après les attentats qui ont frappé Bruxelles, difficile d’élever la voix contre l’état d’urgence. Franchement, si la Belgique avait eu l’état d’urgence, ça ne serait peut-être pas arrivé. Ou peut-être que si, en fait, allez savoir.
J’ai déjà longuement écrit sur l’état d’urgence, son fonctionnement et les dangers qu’il représente pour la liberté. Je ne vais donc pas reprendre ces éléments mais me contenter d’un petit bilan de ces derniers mois sous l’état d’urgence.
Pour les chiffres détaillés, je vous renvoie à cet article du Monde, qui les expose très clairement. On note que sur 3 336 perquisitions administratives, il n’y a eu que 563 procédures judiciaires enclenchées. Ce qui signifie que toutes les autres n’ont abouti à rien. En considérant que certaines procédures aient été enclenchées pour plusieurs perquisitions, on peut facilement chiffrer à 2 500 le nombre de perquisitions qui n’avaient pas lieu d’être. Soit 2 500 violations de domicile avec dégradations... pour absolument rien.
Quant aux procédures enclenchées, seules 28 concernent le terrorisme dont 23 le délit d’apologie du terrorisme. Le reste, au vu des saisies pratiquées, concerne probablement des détentions d’armes illégales, certes, mais notamment dans le cadre de la délinquance et du crime organisé. D’ailleurs, des stupéfiants ont également été saisis. Cela démontre un véritable détournement de l’état d’urgence : on a profité de ce régime spécifique pour mener des perquisitions pour lesquelles le droit commun ne suffisait pas, parce que les enquêtes ne donnaient pas d’éléments suffisants ; autrement dit : parce que nos enquêteurs n’ont pas les moyens matériels et humains pour mener à bien leurs enquêtes.
J’en profite pour partager avec vous une petite expérience personnelle, qui éclaire bien la violation des droits. Alors que je retournais en métro à la Gare de l’Est, je suis tombée sur une fouille corporelle. Oui, une véritable fouille corporelle, pas une palpation de sécurité. Deux policiers étaient en train de fouiller un homme, dans les couloirs du métro. Au vu de tous. Au moment où je suis passée, ils lui faisaient ôter ses chaussures. Je ne suis pas restée pour savoir si on aurait le droit à un strip intégral. J’ai été franchement choquée. Je trouve ça inutilement humiliant et dégradant pour cet homme. Qu’on fouille une personne est déjà suffisamment dur pour elle sans le faire en plus devant tout le monde ; la présomption d’innocence en prend un coup.
Mais peut-être allez-vous me dire, bah, tant pis pour ceux qui ont été perquisitionnés, ils devaient bien avoir quelque chose à se reprocher. Puis l’essentiel, c’est qu’on ait attrapé des criminels, non ?
Certes, mais sans revenir sur les problèmes de droit fondamental que cela pose, revenons donc aux moyens dont disposent notre police et notre gendarmerie. Car pendant que des policiers pratiquent des perquisitions pour l’état d’urgence, ils ne font rien d’autre (le policier n’est pas doté du don d’ubiquité). Alors pendant ce temps, qui s’occupe du vol du sac à main de votre grand-mère, de l’agression qu’a subi votre ami, du cambriolage de l’appartement de votre oncle, de l’agression sexuelle qu’a subi votre sœur dans les transports ?... Les effectifs de police et gendarmerie ne sont pas extensibles. Ils sont en ce moment sur un flux très tendu.
Là aussi, une anecdote. Audience pour statuer sur la prolongation ou non de la rétention d’un étranger en situation irrégulière. L’avocat choisi nous informe qu’il ne viendra pas. Il faut contacter l’avocat de permanence qui ne sera là que dans deux heures. Pendant ces deux heures, on propose à l’escorte (= les policiers ; dans ce cas, la police de l’air et des frontières, une brigade très sollicitée, notamment pour les contrôles d’identité dans les gares) de raccompagner la personne retenue au centre de rétention (qui est juste à coté) pour qu’elle n’attende pas au tribunal. Réponse désabusée du chef d’escorte : « Non, on ne peut pas. Si je renvoie mes gars maintenant, ils vont me les réaffecter et j’aurai personne dans deux heures pour vous ramener votre gars. Ouais, on en est là, faut penser cols blancs en ce moment ! ». Voilà comment sont contraints de réfléchir les gradés en cette période d’état d’urgence.
Autant vous dire qu’avec de tels problèmes d’effectif, les agents assurent un peu un service minimum pour les délits de droit commun. Du coup, non seulement l’état d’urgence n’a presque rien permis en matière de prévention du terrorisme, mais il a en plus entraîné un recul des enquêtes pour les délits dont on a le plus de probabilité d’être victime, des délits qui font l’insécurité de chacun au quotidien.
Alors, cher gouvernement, chers parlementaires, au lieu de prolonger une mesure qui ne fait que renforcer l’insécurité et ne donnant que des illusions, pourquoi ne pas donner de vrais moyens, matériels et humains, aux agents sur le terrain comme aux enquêteurs ? Ce n’est pas de mesures d’exception que l’on a besoin, c’est de moyens pour traiter les problèmes rapidement et efficacement. Et là, peut-être, qu’on pourra commencer à lutter efficacement contre le terrorisme.
Le dessin a été réalisé par Benalo qui nous a gracieusement autorisés à l’utiliser pour illustrer cet article.
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