La fresque des auteurs

par Maëlle Levacher · publié vendredi 10 mars 2017

Ce recueil est divisé en sections ayant pour titres les numéros des siècles selon une succession chronologique. Il cligne de l’œil à Lagarde et Michard, mais la connivence s’arrête là. Ce n’est ni une collection nationale — les auteurs étrangers y sont convoqués comme les français — ni une collection d’extraits. C’est plutôt la fresque du peuple des auteurs, des figures d’auteurs que le peintre place dans la composition en ménageant autour de chacune un espace permettant son identification. Invités à parcourir la fresque, nous entrons donc dans la société des gens qui pensent aux livres ou qui les font.

Celui-ci contient fort peu de pastiches. Il est en fait composé de fictions allusives renvoyant à un auteur, chacune colorée par l’état d’esprit, la sensibilité, et parfois la langue de ce dernier. Toutes chatouillent le lecteur de l’excitation d’une devinette, lui demandant : « Qui évoqué-je ? » Du Bellay sans doute. « Et moi ? » Fastoche : Jean-Jacques ! « Et moi ? » Hetzelovitch ? C’est Jules Verne ! « Et moi ? » Hum..., ne serait-ce pas... ? Et si le lecteur ne la trouve pas par lui-même, la réponse lui est donnée par la liste des « sociétaires » dressée en fin d’ouvrage. On suspecte ici un défaut mineur dans la conception du livre : quelques erreurs se seraient-elles glissées dans les numéros de page associés aux auteurs, ou est-ce moi qui ne m’y retrouve pas ?

J’ai dit « devinette » ; j’aurais pu qualifier de rébus nombre de ces textes, car l’auteur auquel ils renvoient n’y est pas tant incarné qu’appelé par des éléments qui lui sont étrangers (Mallarmé par une intrigue criminelle, Rimbaud par une querelle de couple au sujet de ses œuvres). Ici l’on sourit à ce que les auteurs représentent dans la vie des personnages qui s’en emparent.

Ailleurs, on ne pourra être insensible au charme de l’invention des récits et des ambiances, au charme des fictions douces et simples qui accompagnent les auteurs suscités dans leur univers intime, que l’on quitte plein d’impressions. Quoique ancré dans la référence, ce livre est bien une œuvre d’imagination, et d’imagination puissante. À l’issue de cette lecture, beaucoup d’énigmes demeurent pour moi, que de plus doctes lecteurs se plairont à résoudre. Ce livre a le tort de pouvoir séduire les érudits, mais le lecteur qui ne voudra pas jouer aux devinettes trouvera son plaisir aux récits les plus profondément inspirés. Il a le tort aussi de présenter une grande hétérogénéité formelle, dont je crois (je l’ai dit ailleurs) qu’elle a ses qualités. C’est un livre poétique, inventif et exigeant, long et dense aussi, presque lourd mais en aucun cas indigeste. Disons que c’est un livre plein.

Dans cette espèce d’histoire des auteurs, on comprend que Gérard Cartier lui-même, « ingénieur et géomètre », fait entendre depuis les « nuits de Turin » sa voix de poète. Un autoportrait du peintre s’est glissé quelque part dans la fresque.

Il faut souhaiter à ce livre une diffusion importante, et saluer les Éditions Henry qui ont accepté cette publication malgré sa qualité.

INFORMATIONS

Gérard Cartier, Cabinet de société

Éditions Henry, 2011.

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