par Loïc Chahine · publié mercredi 30 mars 2016 · ⁜
Le label Hortus poursuit son exploration de la musique autour de la guerre de 1914–1918, et les volumes de la collection « Les musiciens et la Grande Guerre » semblent non plus s’additionner mais se multiplier, avec toujours le même soin apporté à des réalisations dont certaines sont appelées à faire date. Du nombre de ces dernières est le volume 16, intitulé Verdun, feuillets de guerre, et consacré à des mélodies, pour une part inédites (une douzaine sont enregistrées ici pour la première fois). On découvre ces pages avec un plaisir constant.
On y retrouve Anne Le Bozec, qui accompagnait déjà Marc Mauillon dans deux autres volumes (4 et 15), et le violoncelliste Alain Meunier dans un autre encore (vol. 3), mais c’est cette fois Françoise Masset qui est à ses côtés. Que dire de Françoise Masset ? C’est la surprise, à chaque fois qu’on l’entend, de cette voix inattendue, cette voix plutôt mate, dont le timbre paraîtrait presque fané, cette voix mise au service d’une musicalité sans faille ; c’est une voix qui semble se tailler pour la musique qu’elle chante et pour les textes qu’elle porte.
Dès les premières secondes du disque, dès les premières paroles des « Dernières pensées » de Gabriel Pierné, poignante galerie de souvenirs, quelle émotion frémit ! Au lieu de commencer simplement, en bas de l’échelle des émotions, dès les premiers mots, Françoise Masset est au sommet. Il faut avoir entendu, deux pistes plus loin, comme « Ô Morts » de Jacques de la Presle est à la fois solennel et plein de tendresse. Il faut avoir senti comme le recueillement s’installe dans « Aux morts de Vauquois » de Reynaldo Hahn. Il faut avoir goûté le calme ému de la « Lettre de chez nous » de Pierre Vellones ; et le calme, plus inquiet, voire angoissé, de la « Solitude » d’André Caplet.
Par ailleurs, le programme, où la qualité des mélodies ne baisse jamais, est construit avec un rare discernement, mêlant les grandes émotions à des pages plus détendues (« La Balançoire », du même Reynaldo Hahn, par exemple, ou bien la « Chanson à ma mie » d’Henry Février), voire franchement légères, comme « Mimi Pinson met sa cocarde » d’Henry Février, plein de clins d’yeux. Nous avouerons notre dilection toute particulière pour « Les Tourneuses d’obus » de Vincent Scotto, qui rappelle que la guerre ne fut pas qu’une affaire d’homme ; Françoise Masset, par ses inflexions, s’y montre d’une irrésistible gouaille (« on est pô des duchesses »). Le passage d’un registre à l’autre assure au récital de fasciner à chaque moment et de ne lasser jamais. Il rappelle aussi que les quatre ans de guerre n’ont pas été qu’hommages et batailles, mais qu’il a bien fallu, aussi, « tenter de vivre ».
Françoise Masset, diseuse d’exception, n’a pas besoin d’histrionisme pour être expressive ; elle n’a pas besoin d’éclats pour toucher ; tout se joue dans les inflexions, délicates, parfois presque infimes ; tout se joue dans ces détails qui font la perfection.
Elle trouve en Anne Le Bozec une partenaire de choix. Elle excelle à faire sonner le beau piano Pleyel de 1920, doté d’une belle résonance, seconde la chanteuse dans chaque mouvement, dans chaque inflexion, mais ravit aussi, en elle-même, par un jeu aussi riche que nuancé, de la caresse à la mitraille. On se demande s’il ne serait pas bienvenu de lui confier, pour compléter la collection, de lui confier un disque en solo.
Point n’est besoin de long discours, sans doute, pour faire comprendre à quel point ce disque constitue une réalisation majeure, aussi bien pour le choix des œuvres, leur qualité, pour l’habile construction du programme, que pour la performance magistrale des deux artistes. Ce disque est plus qu’attachant : il est à chérir.
Pierné, “Les Dernières pensées”
La Presle, “Ô Morts”
Scotto, “Les Tourneuses d’obus”
INFORMATIONS
Gabriel Pierné :
“Les Dernières Pensées” (Six Ballades françaises).
Paul Ladmirault “La Petite bague de la tranchée”.
Jacques de la Presle : “O morts”.
Henry Février :
“Mimi Pinson met sa cocarde”, “Chanson à ma mie”, “Octobre”, “La Lettre” (Chansons de la Woëvre).
Reynaldo Hahn :
“La Balançoire”, “Nuits de grand vent”, “Mon petit Bateau”, “Un bon petit garçon” (Cinq Petites Chansons) ; “Aux morts de Vauquois”.
André Caplet :
“In una selva oscura” (Le Vieux Coffret), “Solitude”, “Prière normande”.
Pierre Vellones :
“Lettre de chez nous”.
Alfred Bruneau :
“Le Tambour”.
Jacques Pillois :
“Il est un air…”, “Mi-brise, mi-brume” (Feuillets de guerre I).
Vincent Scotto :
“Les Tourneuses d’obus”, “La Tranchée aux étoiles”.
Fernand Halphen :
“Vieille chanson”.
Françoise Masset, soprano
Anne Le Bozec, piano
1 CD, 67’56, Hortus, 2016.
Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
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