par Wissâm Feuillet · publié dimanche 4 mars 2018 · ¶¶¶¶
La musique est-elle un art dangereux ? Si l’on peut sans doute se blesser avec une corde qui casse ou blesser autrui avec la pointe d’un archet adroitement manié, l’on ne se sent que peu en danger de mort lorsqu’on est musicien. Fors peut-être au xviie siècle, où les compositeurs donnent allègrement dans l’intrigue de bas-fonds : certains assassinent (Castaldi, Pandolfi Mealli), d’autres sont assassinés (Stradella, Albertini), parfois de façon énigmatique. C’est le propos, ou plutôt le prétexte du duo Repicco qui propose un programme autour de ces compositeurs sanglants. Ce fil rouge aurait pu donner lieu à une anthologie médiocre et hétérogène en qualité. Il n’en est rien, et que voilà d’excellentes surprises ! Ce coup d’essai de deux jeunes interprètes inspirés est une réussite absolue que des artistes plus aguerris pourraient envier.
Les partis-pris interprétatifs du duo, originaux et assumés, tout en nuances, sont d’une expressivité saisissante. Alors que l’on n’entend que rarement la basse continue réduite au seul théorbe, surtout dans la musique italienne où il est de coutume de proposer un continuo généreux, Jadran Duncumb « remplit » seul la ligne de basse, proposant tantôt des cascades d’accords roboratifs, tantôt un battuto qui fait penser à la guitare, tantôt une réalisation minimale qui s’habille quelquefois d’ingénieuses transitions, de formules de reprise de la mélodie du violon, d’échos, de contrechants, à tel point qu’on se demande en l’écoutant comment il parvient techniquement à faire sonner son instrument de façon si complexe, en mêlant à la tessiture habituelle de l’instrument son extrême aigu, rarement utilisé dans l’accompagnement. En effet, l’on sait combien il est difficile de réaliser certaines lignes de basse au théorbe, instrument qui n’offre pas les mêmes facilités de réalisation qu’un instrument à clavier. Ici, toute difficulté passe inaperçue, comme si sa partie avait été écrite en tablature et qu’il n’avait qu’à la jouer : nous reviendrons toujours à la sprezzatura…
Ces trouvailles d’accompagnement soutiennent le violon séducteur de Kinga Ujszászi, précis, extrêmement juste, jamais criard dans son registre aigu, et surtout extrêmement éloquent : il n’est pas un trait qui ne soit pensé pour toucher, pour saisir, pour dérouter. L’on se prend à rêver à un archet acrobatique — alternant enflés, sons retenus, bariolages enrobants — propre à alimenter on ne sait quel « éloge de la main »… C’est, à n’en point douter, le sien, qui crée véritablement, avec malice ou sens dramatique, des ambiances.
Deux solos improvisés, conçus comme des transitions et intercalés entre les duos, permettent de goûter plus directement les qualités d’improvisateurs des deux musiciens, et deux pièces de Castaldi — peut-être pas les mieux choisies — font entendre le théorbe seul. Ainsi le duo Repicco présente-t-il différents états de sa pratique, faisant de ce programme un tout cohérent, uni par une idée singulière, qu’on réécoute volontiers en se laissant surprendre par la virtuosité, mais surtout par un rapport charnel à la corde.
Biaggio Marini : Capriccio
Ignazio Albertini : Sonata III
INFORMATIONS
Duo Repicco
Kinga Ujszászi, violon
Jadran Duncum, théorbe.
1 CD, 60’43, Ambronay Éditions, 2017.
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