par Loïc Chahine · publié mercredi 18 janvier 2017 · ¶¶¶¶
On a beau ne pas choisir un disque (comme un livre) à la couverture, le visuel de celui-ci tape dans l’œil : l’illustration empreinte d’un délicieux charme désuet, sur un fond un peu plus moderne, et, bien sûr, le titre, le sujet, qu’on croirait être celui d’une étude plutôt que d’un enregistrement, La Sonatine pour piano flamande au xxe siècle ; tout invitait à la curiosité. De fait, la totalité de ce qui est ici enregistré est curiosité, au sens, à peu près, de cette définition du Trésor de la langue française : « Objet précieux, rare, œuvre d’art, bibelot. » Presque bibelots, oui, par leurs dimensions modestes, ces sonatines ; mais tout de même véritables œuvres d’art ; petites choses indéniablement rares, car les compositeurs sont pour la plupart inconnus (du moins en nos contrées) : Flor Peeters, Prosper Van Eechaute, Joseph Ryelandt, Marinus de Jong, Georges Lonque, Jos Van Roy, Godfried Devreese, Frédéric Devreese, Peter Cabus, Marcel Poot, Victor De Bo, Jules-Toussaint De Sutter, Arthur Meulemans, Jean Louël, Gabriel Metdepenninghen, Herman Roelstraete. Tout ça, car ce n’est pas un, mais trois CD que Daniel Blumenthal consacre ici à ces sonatines flamandes : de quoi s’y plonger et en avoir tout son soûl.
»La plupart des sonatines de ce CD », nous apprennent Kristin Van den Buys et Daniel Blumenthal dans le livret, « ont été composées durant les années 1930 et 1940. Un grand nombre proviennent de la célèbre série “sonatines” destinée à l’enseignement dans les écoles de musique publiée par la Maison Cnudde à Gand. » La teneur « pédagogique » des œuvres pourrait effrayer : n’y a-t-il là que néo-classicisme ? Ces sonatines ne sont-elles que d’aimables pastiches ? En d’autres termes, le jeu en vaut-il la chandelle ? Indubitablement. Bien sûr, on pourra opposer que certaines sonatines ne sont pas parfaitement inoubliables, et que leur caractère néo-classique ou néo-romantique est un peu suranné, mais cela ne les prive guère de charme. Ainsi, la Sonatine op. 11 de Prosper Van Eechaute (1904–1964) n’est certes pas un monument de modernité, mais… et alors ? Cela s’écoute avec plaisir. Avec plusieurs des œuvres ici réunies, on a l’impression d’être dans la lignée de Debussy, de Ravel ou de Satie — une lignée qui, contrairement à celle de la Seconde École de Vienne, est restée sans grande suite.
Dans beaucoup d’œuvres, ce cadre formel, ce langage même assez « traditionnel » se mêle volontiers à un esprit plus « xxe siècle ». C’est particulièrement le cas des sonatines de Godfried Devreese (1893–1972), qui occupe la quasi-totalité du second disque, et où une certaine ironie trouve sa place, qui fait volontiers penser à certaines œuvres de Chostakovitch. La virtuosité n’est pas absente non plus, et le genre de la sonatine ne l’interdit pas — en atteste, par exemple, l’inattendu et virevoltant « Hommage à Debussy », premier mouvement de la Sonatine no 6 de Devreese. En somme, il y a une veine particulière à ces sonatines flamandes qui ont su développer un langage sinon totalement original, du moins particulier et efficace. Ce qu’écrivent les auteurs du livret à propos de la Sonatine d’Arthur Meulemans résume bien la situation de la plupart des œuvres : « le compositeur se laisse inspirer par la musique du Paris des années 1920, avec Satie et Tansman, et dans le dernier mouvement, Allegro con fuoco, c’est Stravinski, Poulenc et Prokofief que l’on peut entendre. Et pourtant, nous avons affaire à du pur Meulemans ! »
Le jeu de Daniel Blumethal semble correspondre idéalement à l’esprit des œuvres choisies : leurs équilibres classiques trouvent un écho dans la clarté du discours musicale et dans la délicatesse de l’accentuation, l’absence de toute outrance, la fluidité. Si le pastiche est souvent hommage, il peut aussi se teinter d’ironie, et cette dimension s’exprime par la vivacité du toucher, un je-ne-sais-quoi qui laisse entendre le sourire en coin. Le pianiste a manifestement plaisir à jouer cette musique, et ce plaisir est communicatif.
Tout au plus regrettera-t-on la pléthore : l’auditeur impatient risquera de trouver que cette enfilade de petites pièces a quelque chose d’un peu fastidieux, et il aurait peut-être été judicieux de limiter l’aventure à un ou deux disques, en opérant un choix plus restreint afin de ne garder que la quintessence.
Prosper Van Eechaute: Sonatine, Op. 11 No. 1: I. Allegro
Herman Roelstraete: Sonatine, Op. 35 No. 1: II. Lied (Adagio molto espressivo)
INFORMATIONS
Daniel Blumenthal, piano
3 CD, Fuga Libera (Outhere), 2016.
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