par Félin Sceptique · publié vendredi 14 aout 2015
Pour Jean-Jacques, c’est la première fois. Alors il est un peu stressé quand il arrive à la maison d’arrêt. Sa mère l’a déposé mais elle est tout de suite partie.
Dès son arrivé, Jean-Jacques est pris en charge par un surveillant. Il a vu plein de séries américaines alors il s’attend à devoir enlever ses fringues et à se voir remettre une élégante combinaison orange. Mais non. Enfin ses fringues, il devra les enlever pour la fouille mais il pourra les remettre.
Au greffe de la maison d’arrêt, on commence par l’enregistrer et lui donner un numéro d’écrou. C’est toujours comme ça avec l’administration, on n’est qu’un numéro ! Puis on lui demande de vider ses poches et de déposer tous les objets qu’il a sur lui. Alors Jean-Jacques laisse sa montre, son porte-feuille, ses papiers. « Vous allez en faire quoi ? Je peux les récupérer après ? ». Le surveillant lui explique que les objets comme le porte-feuille, la montre et les papiers vont être mis dans une consigne et qu’il récupérera le tout à sa sortie. Pour l’argent dans le porte-feuille, il laisse le choix à Jean-Jacques : « on peut soit l’envoyer à la personne de votre choix, soit les déposer sur votre compte détenu ».
Jean-Jacques a l’air perplexe. « Moi mon compte, c’est au Crédit Mutuel ». Le surveillant sourit. « Non, là je parle du compte qu’on va vous ouvrir pour le temps de votre détention. C’est un autre compte, qui est géré par le régisseur de la prison.
— Ouais mais moi j’ai déjà un compte en fait, donc j’en veux pas un autre, ça sert à rien.
— Peut-être, mais c’est obligatoire. Tous les détenus ont un compte. On y versera les mandats que vous envoie votre famille et vos salaires, si vous travaillez en prison. Et à la fin de votre détention, on le clôture. C’est un compte qui va vous servir pour tout ce qui concerne la détention. C’est plus pratique pour nous parce que le régisseur y a accès.
— Ah ok. Mais ça sert à quoi l’argent qu’est dessus ? Je peux m’en servir ? Parce que je vais pas trop faire mes courses dans la prison, quoi !
— Il y a une partie des sommes que vous pouvez dépenser à la cantine, une autre qui est réservé à l’indemnisation des parties civiles et une autre, ça sera pour votre sortie. »
Et comme Jean-Jacques n’a pas encore tout bien compris, on va lui expliquer tout ça plus en détails.
Cette étape-ci est clairement la plus compliquée.
Comme le surveillant l’a expliqué à Jean-Jacques, on peut, pour commencer, verser sur le compte détenu les sommes qu’il détient lors de son arrivée en prison. La loi précise que l’administration pénitentiaire ne peut pas refuser de verser cette somme sur le compte détenu, peu importe son importance. Qu’on arrive avec 10 centimes ou 15 000 €, l’administration doit les verser sur le compte.
Ensuite, le détenu peut recevoir des mandats de sa famille et de ses proches. Il s’agit de sommes d’argent adressées à l’administration pénitentiaire pour que cette dernière les verse sur le compte du détenu.
Enfin, le détenu peut toucher un salaire lorsqu’il travaille en détention. Le principe est que tous les détenus ont le droit de travailler. La réalité est tout autre. La pénurie d’emploi existe aussi en détention et les places sont difficiles à obtenir. Toutefois certains détenus ont la « chance » d’obtenir un emploi, soit aux ateliers où ils travaillent pour des entreprises à l’extérieur, soit au service général où ils travaillent pour l’administration pénitentiaire. Les détenus chanceux ne s’en plaignent pas trop mais toute personne libre déchanterait, en voyant leurs fiches de paie. En prison, le smic n’est qu’un vague concept. Pour en savoir plus, je vous propose de lire cet article du Monde, plutôt bien fait.
La loi prévoit qu’une partie des ressources du détenu sera automatiquement affectée à l’indemnisation des parties civiles ou aux paiements des pensions alimentaires. Le montant à verser varie selon les ressources du détenu. Certains détenus, en raison de la faiblesse de leurs ressources, ne versent rien. L’article D 320-1 du code de procédure pénale prévoit les proportions suivantes :
– 20 %, pour la fraction supérieure à 200 euros et inférieure ou égale à 400 euros ;
– 25 %, pour la fraction supérieure à 400 euros et inférieure ou égale à 600 euros ;
– 30 %, pour la fraction supérieure à 600 euros.
Le législateur et les gouvernements successifs ont fait de l’indemnisation des parties civiles une véritable obsession. Tout est fait pour la favoriser. En ce sens, le décret no 2015-689 du 18 juin 2015 relatif à la gestion des comptes nominatifs des personnes détenues et à la mise à disposition des sommes y figurant permet au détenu de verser les sommes de sa « part disponible » (je vous expliquerai ça après) sur la partie indemnisation de son compte. Et après on en trouve toujours pour nous dire qu’il n’y en a que pour les condamnés !
Si le détenu n’a pas de parties civiles à indemniser ni de pensions alimentaires à verser, les sommes de la première part sont reversées sur la troisième dite « part disponible » (et je vous ai déjà dit que j’allais vous l’expliquer après, un peu de patience, que diable).
La deuxième partie du compte détenu constitue le pécule de libération. Elle correspond à 10 % de ce que touche le détenu. Le pécule de libération est, comme son nom l’indique, une somme d’argent mise de coté pendant la détention que le détenu touche à sa libération de manière à ne pas sortir les poches vides. Passée une certaine somme, actuellement fixée à 229 €, le pécule de libération est placé sur un livret A (qui a quand même le taux d’intérêt fou-fou de 0,75%).
Le but est de faciliter la réinsertion des condamnés. D’ailleurs, la loi prévoit que cette partie du compte soit insaisissable.
Depuis le décret du 18 juin 2015, le pécule de libération peut, sur autorisation du chef d’établissement pénitentiaire, être utilisé par les personnes bénéficiant d’un aménagement de peine sous écrou (placement sous surveillance électronique, placement extérieur ou semi-liberté). Même si ces personnes sont, par leur statut assimilées, à des détenus (puisqu’elles sont sous écrous), elles passent plus ou moins de temps à l’extérieur de la prison et ont pour cela besoin d’argent. Cette évolution s’est faite grâce à une recommandation de la controleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) exprimée dans le rapport d’activité pour l’année 2014. C’est d’ailleurs la seule recommandation faite au sujet des comptes nominatifs des détenus qui a été suivie.
Une fois que notre détenu a gagné de l’argent, il va pouvoir en dépenser. C’est la part disponible de son compte détenu. Elle contient les sommes de 0 à 200 € que reçoit le détenu, soit la part dite alimentaire de ses ressources, ainsi que toutes les sommes qui n’ont pas été affectée aux deux autres parts.
Pour information, à l’extérieur, la part alimentaire d’un salaire correspond au minimum au montant d’un RSA, soit 513,88 €. Cette différence pourrait s’expliquer par les faibles besoins d’un détenu puisqu’il est nourri, logé et blanchit, mais à l’extérieur, on ne prend pas en compte les charges de la personne pour calculer son minimum vital. À mon avis, cette différence tient plutôt à la faiblesse des ressources des détenus et à la nécessité de conserver une partie pour l’affecter à l’indemnisation des parties civiles.
Avec cette part disponible, le détenu peut tout d’abord, après autorisation du chef d’établissement pénitentiaire, envoyer de l’argent à l’extérieur.
Mais surtout, il peut « cantiner », c’est-à-dire acheter des choses diverses et variées au « magasin » de la prison, appelé « cantine ». Bon alors autant vous le dire tout de suite, ça n’a rien à voir avec un après-midi shopping chez Zara ! D’autant que les prix sont assez prohibitifs. Tout est très cher à la cantine et souvent de médiocre qualité. À ce sujet, la presse a relayé l’article qu’un détenu a écrit dans le journal de sa prison sur les prix de la cantine. Dans son article, il compare les prix de la cantine avec ceux du magasin Auchan qui est censé servir de référence pour fixer les prix. Et la plupart des produits sont plus chers. Par exemple, il relève une augmentation de 38 % pour le paquet de pâtes (oui, un détenu peut acheter des pâtes, vu que les repas en prison ne sont pas tout à fait… enfin sont plutôt… comment dire ?). Ses codétenus interrogés se plaignent également de la qualité des produits et notamment des fruits qui sont livrés pourris. Pour plus de détails lire ici. La plupart des sociétés prestataires en prison bénéficient d’un monopole dont elles abusent. On peut espérer que cet article fera bouger les lignes.
Par ailleurs, dans son rapport d’activité 2014, la contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) plaide pour une plus grande autonomie des détenus au travers plusieurs recommandations. Concernant le fonctionnement des cantines, elle souhaite l’ouverture à minima de comptoirs voire de petites supérettes « où chacun a la possibilité de choisir et comparer les produits mis en vente, puis de commander directement ses achats, les payer par un système de type carte magnétique et d’être immédiatement livré. ». A l’heure actuelle, dans la plupart des établissements pénitentiaires, les objets achetés en cantines sont distribués en cellule par le personnel de surveillance.
Surtout, toujours dans un objectif d’autonomie, la contrôleure
recommande que les personnes puissent choisir le type de compte d’épargne qu’elles souhaitent ouvrir, qu’elles reçoivent un double de leur relevé de compte d’épargne, jusqu’alors adressé par la Banque postale au seul régisseur de l’administration pénitentiaire. La mise en place de permanences financières assurées par des professionnels du secteur bancaire pourrait également être profitable en matière d’autonomie dans la gestion du patrimoine financier. Pour toutes ces raisons, le CGLPL recommande qu’une modification législative soit envisagée afin de prendre en compte ces différentes constatations, auxquelles doit s’ajouter le fait que le versement obligatoire vers le livret d’épargne devrait être réalisé de manière rapide pour permettre aux personnes de bénéficier des intérêts générés par ce placement.
Le but est d’arrêter d’infantiliser les détenus et de leur rendre leur autonomie afin qu’ils soient capable, de retour à l’extérieur, de se débrouiller.
Alors même si on ne doute pas que l’administration pénitentiaire va bien prendre soin du patrimoine de notre ami Jean-Jacques, il faudrait qu’elle le laisse un peu se débrouiller comme un grand, pour qu’il soit capable de s’assumer à sa sortie. Parce que le rôle de la prison, c’est aussi un peu la réinsertion.
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