Les mineurs isolés étrangers valent-ils moins que les autres ?

par Félin Sceptique · publié jeudi 13 juillet 2017

Alors que les annonces de coupes budgétaires pleuvent au même rythme que celles d’arrivée de migrants, j’angoisse. J’angoisse pour les mineurs qui se trouvent dans ces bateaux qui échouent en mer. Ces mineurs que nous sommes censés protéger mais pour lesquels il n’y a plus de place, plus d’argent, plus rien : les mineurs étrangers isolés.

Un mineur étranger isolé, ou mineur non accompagné selon la nouvelle terminologie plus politiquement correcte, est une personne âgée de moins de 18 ans, se trouvant isolée sur le territoire français, c’est-à-dire sans famille pour la prendre en charge. Ce terme ne concerne que les mineurs immigrants seuls en France ; les mineurs français, orphelins ou délaissés, font l’objet d’un autre schéma de prise en charge. La France, dans sa grande mansuétude, offre à ces jeunes (voire même ces enfants car certains sont très jeunes) sa protection. Ils sont placés auprès de l’aide sociale à l’enfance (le service départemental chargé de la protection de l’enfance), qui les prend en charge, d’abord dans un cadre judiciaire (sur décision du juge des enfants), puis dans un cadre administratif (avec ouverture d’une tutelle, comme on le ferait pour un mineur français). Prenons un exemple.

Le jeune Oumar (prénom d’emprunt) a 16 ans. Il vivait au Sénégal, mais sa mère est morte. Son père s’est remarié mais Oumar n’a pas vraiment sa place dans cette nouvelle famille. D’ailleurs, cette famille n’a pas les moyens de le prendre en charge. Il est grand. Il a entendu parler de l’Europe, de l’école là-bas, du travail. Oumar se surprend à rêver de cette vie-là. Alors, il prend son baluchon et traverse le continent africain. C’est loin d’être une partie de plaisir mais Oumar s’en fiche. Il veut un avenir, et l’avenir est en Europe. Alors, malgré les coups, le racket, la torture, la faim, le froid, la chaleur, la peur, il continue d’avancer. Enfin, il arrive en France, cette grande terre d’asile, ce pays des Droits de l’Homme. Oumar est un peu perdu. A Paris, des compatriotes lui indiquent le nom et l’adresse d’une association qui peut s’occuper de lui. Oumar s’y présente. On l’accueille, cinq jours. Il fait l’objet d’une évaluation de sa minorité : on lui pose des questions sur sa vie d’avant, au Sénégal, sur le voyage. Oumar répond. L’association estime qu’Oumar est effectivement mineur. Il peut donc bénéficier du système de protection de l’enfance. L’association prévient l’aide sociale à l’enfance. L’aide sociale à l’enfance prévient les services du procureur. Le procureur rend une ordonnance de placement provisoire et saisit le juge des enfants, qui renouvellera le placement d’Oumar jusqu’à ce que le juge des tutelles prenne le relais. Oumar est désormais sous la protection de l’État français. Maintenant, Oumar ne craint plus rien.

Enfin ça, c’est la théorie. Parce que dans la pratique, ça ne se passe plus comme ça. Et oui mon petit Oumar, toi qui as traversé l’enfer, sache que les départements sont fauchés... L’argent public est précieux et la protection de l’enfance, ça ne rapporte rien alors on investit pas trop dedans ! Résultat : il n’y a plus assez de places en foyer, ni même en hôtel, pour accueillir les jeunes comme Oumar. Alors tu vas rester dehors et tu vas te démerder, parce qu’il faut pas dépasser les 3 % de déficit.

Il y a quelque temps, j’ai reçu au tribunal deux jeunes, comme Oumar. Ils ont fait l’objet d’une ordonnance de placement provisoire, une décision de justice, auprès de l’aide sociale à l’enfance de tel département. (Il n’est nul besoin d’indiquer de quel département il s’agit : c’est un problème de politique nationale et non locale.) Ils se sont présentés aux services de ladite aide sociale à l’enfance qui a refusé de les accueillir, faute de place, et leur a dit de revenir le lendemain. Et dans l’attente, où vont dormir les deux jeunes ? Tout le monde s’en fout.

Pire encore, alors que le juge des enfants s’apprêtait à rendre une ordonnance de placement pour un mineur non accompagné, j’ai contacté les services de l’aide sociale à l’enfance d’un deuxième département pour les informer et pour qu’ils envoient un éducateur récupérer le jeune. Et mon interlocutrice de me répondre simplement « ah vous n’êtes pas au courant ? On n’exécutera plus les décisions de placement directement prises par le juge des enfants pour les MNA ». Refus net d’exécuter une décision de Justice.

Alors pour la défense de l’aide sociale à l’enfance, ils ne refusent pas d’accueillir les jeunes de gaieté de cœur, mais réellement parce qu’ils n’ont plus aucune place d’hébergement disponible. Parce que malgré l’afflux de mineurs non accompagnés, il n’y a pas eu de nouveaux moyens financiers. Les départements doivent faire plus, avec moins d’argent. Et avec les annonces du Président de la République nouvellement élu, le pire est à craindre.

Pourtant, le fait est là. La France prétend protéger ces jeunes gens, qui n’ont aucune famille, pas de toit sur la tête et rien à manger, et les laisse au final dans la rue. Imaginer que l’on traite ainsi nos orphelins.

La petite Kelly a perdu sa mère. Son père ne souhaite pas la prendre chez lui. Elle n’a nulle part où aller. Son collège fait un signalement. Le procureur rend une ordonnance de placement provisoire pour que Kelly soit placée à l’aide sociale à l’enfance. Mais pas de chance pour Kelly, il n’y a pas de place. Elle va donc dormir dans la rue, et potentiellement faire le bonheur d’un gros dégueulasse dont elle croisera le chemin... Ouais, quand ça arrive à Kelly, ça fait scandale. Quand ça arrive à Oumar, bah c’est pas de chance pour lui...

Alors, je veux bien entendre le discours « on ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Mais dans ce cas là on assume et on ne prétend pas « protéger » les mineurs étrangers. On ne fait pas des lois avec cet objectif de protection. On ne tient pas une position totalement hypocrite qui d’un coté prétend protéger et de l’autre ne donne pas les moyens financiers aux départements pour qu’ils mettent effectivement ces mineurs à l’abri.

On ne dit pas à ces gamins, parce qu’à 16 ans, on est encore un gamin, qu’on va s’occuper d’eux pour les laisser crever dans la rue. Et surtout, surtout, quand on demande aux magistrats d’appliquer des lois, on donne ensuite les moyens de faire appliquer les décisions de justice ! Parce que pour pleurnicher que les condamnations pénales ne sont pas appliquées, il y a du monde. Par contre, personne pour s’insurger du fait que de nombreuses ordonnances de placement prises à l’égard de mineurs non accompagné ne sont jamais exécutées.

J’aimerais que de temps en temps, un député passe dans les couloirs des tribunaux pour enfants pour les rencontrer ces mômes ; qu’il assiste aux audiences où ces gamins racontent leur voyage, et qu’il repense à eux au moment de voter les budgets. Et surtout, j’aimerais qu’il leur dise, en les regardant dans les yeux, qu’ils ne seront pas mis à l’abri. Ils verront comme c’est agréable !

Monsieur Macron, vous avez des beaux-enfants, adultes à présent. Ils ont eux-même des enfants. Je crois savoir que vous y êtes très attaché. Si un jour ils devaient fuir la France, seuls, perdus, comment voudriez-vous qu’on les traite ? Pensez à votre réponse lorsque vous scellerez le budget des départements.

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