par Loïc Chahine · publié lundi 9 mai 2016
Nous venons d’apprendre que Philippe Beaussant, écrivain, musicologue, ardent défenseur de la musique baroque en particulier, mais aussi connaisseur en peinture, Académicien, vient de mourir à l’âge de 86 ans. Après Nikolaus Harnoncourt il y a quelques semaines, après Pierre Boulez encore un peu auparavant, c’est une autre figure du monde musical, bien différente encore, particulière, assez exceptionnelle finalement, qui nous quitte.
Qu’il me soit permis ici de faire ce que Beaussant lui-même faisait souvent : mêler le personnel à, si ce n’est l’universel, du moins ce qui ne me concerne pas, à mon sujet. Philippe Beaussant, même quand il parlait de Lully ou de Couperin, n’hésitait pas à se mettre en scène en auteur, à prendre parti, et cela faisait, assurément, partie de son charme. Je ne crois pas qu’il m’en voudrait de narrer quelques anecdotes tout à fait personnelles. La première concerne le baccalauréat. Quand je l’ai passé, le sujet demandait aux candidats d’écrire une lettre à un auteur (contemporain, je crois) dont nous avions admiré et aimé une œuvre, en parlant de ladite œuvre. J’avais choisi Vous avez dit baroque ?
L’année suivante, j’étais en classe préparatoire ; je n’y suis guère resté, et l’on comprendra tout de suite pourquoi. Je me souviens parfaitement d’un cours d’histoire où, pendant que le prof parlait, faisait, pour tout dire, la correction d’un devoir, je suis demeuré au fond de la classe aussi peu attentif que possible puisque je trouvais nettement plus intéressante ma lecture que les propos que j’aurais dû écouter : c’était Vous avez dit classique ?
J’avais environ dix-huit ans à ces moments ; j’ai lu aussi, à l’époque, bien d’autres ouvrages de Philippe Beaussant (son Lully, par exemple, Louis XIV, artiste, aussi, Le Roi Soleil se lève aussi…), et c’est dire assez l’importance qu’il a pu avoir dans la formation de mon goût ; c’est dire aussi la séduction de sa plume. Je suis toujours resté sous le charme du style, alerte, enjoué, efficace, digressant mais jamais plus qu’il ne fallait, entraînant véritablement le lecteur avec lui — toujours enthousiaste, émerveillé de ce dont il parlait, car il avait l’air de parler autant que d’écrire.
J’ai lu aussi plusieurs de ses romans. On doit recommander son Héloïse qui rappelle qu’à côté des idéaux, la Révolution française a aussi été un bouleversement humain, et pas seulement pour ceux qui y ont participé activement. Comment pouvait-on vivre une telle période quand on n’était, en somme, que d’honnêtes gens ? Voilà la question à laquelle répond bien ce roman très humain.
Plus tard, j’ai lu d’autres ouvrages, en particulier Passages de la Renaissance au baroque, véritable révélation pour moi sur l’art de regarder un tableau : tenez donc ! on n’est pas obligé de faire comme tout le monde et de rester immobile, on peut bouger, on peut se déplacer, et c’est même mieux ! C’est Beaussant qui le dit, ça doit être vrai (d’ailleurs il le démontre, à propos des Noces de Cana de Véronèse). Ici, comme ailleurs, la lecture de Philippe Beaussant avait quelque chose de décomplexant : apprendre, savoir, mais sans s’en faire. Je suis sûr, aussi, que je n’aimerais pas tant Le Supplice de Marsyas de Titien sans le Titien, le chant du cygne de Beaussant.
J’ai eu la chance, par la suite, de le rencontrer, en particulier à la Folle Journée de Nantes, où il était, selon ses propres mots (la seconde fois au moins), « per piacere ». Nous serons nombreux, je crois, à garder de lui cette image de bon vivant, bien préoccupé du piacere. Il préparait alors, je m’en souviens, un troisième ouvrage de cuisine. Verra-t-il le jour ? Était-il suffisamment avancé pour que l’éditeur puisse aujourd’hui s’en saisir et le faire paraître ?
Au début de Mangez baroque et restez mince, l’auteur nous avertissait : on ne resterait pas mince, parce que lui, il s’en fichait de ça. En réalité, il s’est un peu trompé, car, bien sûr, les recettes donnent souvent envie, mais il est mille fois meilleur de les lire sous la plume vive de Philippe Beaussant, que de déguster réellement les plats dont elles parlent. Oui, il y a une forme de gourmandise chez Beaussant dans cette érudition qui n’est jamais poseuse, qui a toujours l’air de s’amuser et surtout de s’émerveiller.
Beaucoup de « baroqueux » ou d’amateurs de baroque, en France au moins, et sans doute ailleurs aussi, doivent quelque chose à Philippe Beaussant. La lecture de Vous avez dit baroque ? a été, assurément, pour beaucoup, un déclencheur d’idée ou une mise au net. Les expériences qu’il a contribué à mener, de l’Académie de musique baroque de Versailles ou du Théâtre baroque de France, par exemple, ont également été décisives dans certains parcours d’artistes ou de spectateurs.
Philippe Beaussant n’est plus ? Dira-t-on, comme des rois, « Philippe Beaussant n’est plus, vive Philippe Beaussant » ? Il y avait bien chez lui quelque chose de royal, mais un roi de comédie, un bon roi de théâtre, de comédie, qui ne règne pas réellement autrement que par la belle parole.
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