De la décence des tenues des femmes

par Félin Sceptique · publié dimanche 2 aout 2015

Les juridictions françaises sont le théâtre au quotidien de petites histoires insolites. Récemment, une femme s’est présentée au tribunal pour divorcer selon la procédure de consentement mutuel vêtue de... sa robe de mariée ! Insolite, vous dis-je. Alors que cette dame s’apprête à dire « oui » au divorce devant le magistrat, celui-ci refuse de recevoir le couple. « Revenez avec une tenue décente », lui dit-il. Et de nous interroger avec elle : c’est quoi une tenue décente ?

Nous avons beau être au xxie siècle, une femme ne peut se vêtir — et à fortiori se dévêtir — à sa guise. Des jeans des ministres féminines aux décolletés dans les ministères, des longueurs de jupe au foulard dans les cheveux, les tenues des femmes sont systématiquement décortiquées, et pas seulement par Cristina Cordula sur M6. Que dit la loi de tout cela ?

Dans l’espace public

Le texte le plus célèbre en la matière est celui réglementant le port du pantalon par les femmes — il s’agit de l’ordonnance du préfet de police Dubois no 22 du 16 brumaire an IX (7 novembre 1800), intitulée « Ordonnance concernant le travestissement des femmes » — et qui n’a jamais été abrogé. Pas d’inquiétude, même si le texte est techniquement toujours en vigueur, il ne pourrait plus être appliqué aujourd’hui, comme l’explique la ministre des droits des femmes dans sa réponse à une question posée au gouvernement.

Plus récemment, la loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, réprime, comme son nom l’indique, de couvrir son visage dans un lieu public, pour des raisons de sécurité. Bien que surnommée loi « anti-burqa », elle s’applique plus largement à toute dissimulation du visage et concerne tout autant les femmes que les hommes (et sonne le glas de la cagoule, pourtant si mode !).

Quant au fait d’être prise pour une prostituée, il est peu probable de se faire condamner pour racolage à cause d’une tenue trop légère. En effet, la jurisprudence, fort divertissante en cette matière, nous apprend que le délit de racolage (puni par l’article 225-10-1 du Code pénal) est qualifié en référence à l’attitude de la personne (voir ici) et non à sa tenue vestimentaire. D’ailleurs, le fait pour un homme travesti en femme de porter « une longue perruque rousse, un manteau long en renard noir, une mini jupe noire, des bas résille et des bottes montantes à talon aiguille » ne constitue qu’un « acte préparatoire », insuffisant pour condamner le prévenu pour le délit de racolage (la décision). Donc, si le jeune homme à casquette est bien prompt à vous traiter de prostituée, le juge est un peu plus prudent, pendant les audiences tout du moins.

Mais ces femmes, là, en mini-jupe, c’est quand même de l’exhibitionnisme non ? Eh, non ! Le délit d’exhibition sexuelle exige qu’un sexe soit dénudé avec l’intention de s’exhiber. Une ambiguïté existe pour les femmes en ce qui concerne les seins. Un homme torse nu ne sera jamais condamné pour exhibition sexuelle en revanche, une femme peut l’être. Une distinction peut s’expliquer : les seins sont souvent considérés comme des organes sexuels bien que non génitaux en ce qu’ils différencient les deux sexes. Ces condamnations restent toutefois assez rares bien que récemment très médiatisées en ce qu’elles ont concernées des manifestantes du groupe Femen.

Quelques exemples de restrictions propres à certains lieux

Certains règlements ponctuels peuvent imposer le port de certaines tenues ou l’interdire. Les cas les plus fréquents se situent sur le lieu de travail et dans les établissements en contact avec des mineurs (établissements scolaires, crèche, centre aéré...). Il s’agit de règlements ponctuels dont il est difficile de démontrer le caractère sexiste sauf à ce qu’il le soit ouvertement. Par exemple, impossible d’interdire à des ministres féminines le port du jean sans l’interdire à leurs collègues masculins.

Mais du coup, mon patron peut me forcer à me vêtir en soubrette ? Sauf professions très particulières, non. Selon la chambre sociale de la Cour de Cassation, le salarié est, en principe, libre de se vêtir comme il l’entend sur son lieu de travail. J’ai écrit en principe, cela veut bien dire qu’il y a des exceptions, pleins d’exceptions. Tenues de sécurité, uniforme avec le nom du magasin (pour bien reconnaître le vendeur.. oui oui, toi là, arrête d’essayer de te planquer !), contact avec la clientèle... Les juridictions prud’homales veillent toutefois à ce que les contraintes vestimentaires soient justifiées compte tenu de l’emploi occupé.

Et les polémiques sur les tenues à l’école ? Les établissements scolaires sont, je trouve, particulièrement sévères envers les jeunes filles. Pas de tenue trop courte pour les demoiselles, cela déconcentre les garçons. L’idée générale est qu’il faut protéger l’innocence de nos chers têtes blondes qui ne sauraient voir ces corps dénudés ! Si le sujet vous intéresse, je vous suggère la lecture de l’excellente Mara Goyet sur les interdits vestimentaires à l’école.

Les sanctions éventuellement prises par l’établissement peuvent être contrôlés par le juge administratif qui déterminera si l’interdiction est justifiée. La jurisprudence est assez stricte avec les établissements, aussi une proposition de loi a été déposée le 5 juin 2012 « visant à réguler et contrôler les tenues vestimentaires des élèves des collèges et lycées ». Il est intéressant de voir que les tenues des filles sont spécifiquement visées dans l’exposé des motifs du texte : « Il est évident qu’il relève de l’objectif le plus total de qualifier une tenue de décente ou non, cependant, les exemples se multiplient où du fait de comportements et de goûts vestimentaires nouveaux, dissocier la fillette de la femme s’avère difficile ». À l’heure actuelle, cette proposition a sombré dans l’abîme de l’oubli parlementaire... un endroit affreux dont on revient rarement !

Alors tout ce blabla de juriste pour dire quoi ? Eh bien, que le principe est qu’une femme — au même titre qu’un homme — peut aux yeux de la loi se vêtir comme elle l’entend, tant qu’elle couvre ses attributs féminins. Cette règle peut être limitée dans certains lieux sous contrôle strict du juge. Il serait donc temps que la société se mette au même niveau de tolérance que la loi.

Vous me demanderez alors, quid de ma petite dame avec sa robe de mariée ? Sa tenue, n’en déplaise à monsieur le président, était des plus décentes.

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