Le Giardino cultive son Haydn

par Loïc Chahine · publié mardi 23 aout 2016 ·

Voici la suite du beau projet mené conjointement par la Fondation Joseph Haydn de Bâle, Alpha Classics et Il Giardino Armonico, et qui doit conduire, d’ici au tricentenaire de la naissance du compositeur, à une intégrale des symphonies de Haydn. Ce troisième volume place à côté de trois symphonies l’aria de concert Solo et pensoso sur un sonnet de Pétrarque — qui donne son titre au disque —, et, pour rester dans le thème qu’illustre aussi la photographie de la couverture, l’ouverture de l’opéra L’Isola disabitata.

Ce programme couvre presque toute la période d’activité créatrice de Haydn, des années où il était maître de chapelle du comte Morzin (premier employeur du compositeur de 1758 à son entrée chez Esterházy en 1761), illustrées par la Symphonie en majeur Hob. I:4, à 1798, année où il terminait La Création, qui est aussi celle de la composition de sa dernière aria profane Solo e pensoso, pour soprano. Deux symphonies illustrent la prolixe (et longue) période Esterházy : l’Hob I:42 (1771) et, plus célèbre (à juste titre), l’Hob I:64, surnommée Tempora mutantur. Mais cette vaste chronologie montre en fait aussi que dès ses premières symphonies, Haydn maîtrise déjà parfaitement son art, et la 4e n’a guère à rougir à côté de la 42e.

Les affinités d’Il Giardino armonico et de son chef Giovanni Antonini avec la musique de Haydn ne sont plus à prouver. On retrouve ici les mêmes qualités que dans les volumes précédents : un son franc, rond, riche, un sens du rythme et de la variété des attaques autant que de la ligne et du chant. On admire particulièrement la qualité du phrasé qui conduit à une caractérisation des thèmes jamais histrionique, mais dont découle, comme avec évidence, une dramaturgie interne à peu près irrésistible. Les intentions sont admirablement claires et guident avec délicatesse l’auditeur dans le « kaléidoscope d’émotions » que décrit Giovanni Antonini ; on croirait presque voir se succéder les célèbres figures de Le Brun qui illustrent les diverses expressions que prend un visage.

Les premières mesures de la 42e symphonie illustrent parfaitement ces qualités. L’accord initial est puissant, presque explosif, sans être violent, bénéficiant d’une émission très légèrement arpégée, le thème passe avec bonheur d’éléments rythmiques à d’autres plus chantants, et cela chante, et cela saute ; la variété des ensembles, des textures, est habilement mise en valeur… On se suspend ici aux trémolos, là au motif de basse (sans perdre le dessus), là-bas à la phrase de hautbois… En fait, on entend parfaitement ce qui se passe, ce qui est écrit, sans pour autant que cela soit une lecture sèche et trop littérale. De la même manière, dans l’ouverture de l’Isola disabitata, l’œuvre la plus tendue proposée dans ce disque — la seule en mineur, d’ailleurs —, le Vivace assai est animé d’une folle tension sans jamais l’impression d’une machine qui tourne à vide, sans doute grâce à l’acuité du phrasé, jamais relâché, au soin apporté au moindre détail. Giovanni Antonini et son Giardino armonico possèdent l’art d’allier l’enthousiasme à la clarté et ne laissent jamais la musique en « mode automatique » ; partout, les musiciens mettent des intentions, mais ne donnent pas pour autant l’impression d’une vaine saturation : tout au contraire, ils semblent exprimer la profonde versatilité naturelle de la musique de Haydn, sa vivacité d’esprit. En cela, Il Giardino armonico nous montre que Haydn exploitait l’héritage du baroque, mais en le canalisant, et cette canalisation elle-même trouve son équivalent dans un sens du dosage des effets, des intentions dont nous avons parlé, c’est-à-dire une absence d’excès : « rien de trop », dirait-on en suivant l’adage grec, et l’on pourrait aussi dire, si c’était une formulation correcte, « rien de pas assez ».

On se réjouit enfin d’entendre, dans l’aria « Solo e pensoso », l’excellente soprano Francesca Aspromonte, assurément l’une des grandes d’aujourd’hui. L’émission est claire, comme d’une exceptionnelle facilité, le timbre est beau, le texte toujours bien articulé, la ligne magistralement conduite, et là encore, l’on se laisse porter par les fines inflexions apportées à chaque phrase ; voilà qui semble nous dire « ce n’est pas parce qu’on est en 1798 que les affetti sont morts ».

Ce troisième volume, auquel nous n’avons pas trouvé de défaut, est peut-être, jusqu’à présent, le plus abouti, parce qu’il parvient à un parfait équilibre aussi bien des œuvres présentées, des forces en présence, que de l’interprétation magistrale d’Il Giardino Armonico. On le réécoute, on y revient avec l’assurance d’y retrouver le même plaisir, et on l’y retrouve.

Extrait

Symphonie Hob. I:64 Tempora mutantur, I, Allegro con spirito

INFORMATIONS

Haydn 2032, vol. 3

Franz Joseph Haydn
Symphonies no 4, 42 et 64
Aria « Solo e pensoso » Ouverture de L’Isola disabitata

Il Giardino Armonico
Giovanni Antonini, dir.
Francesca Aspromonte, soprano

1 CD, 68’57, Alpha Classics (Outhere), 2016.

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