Redécouvrir Gounod et l’aimer

par Loïc Chahine · publié jeudi 30 juin 2016 ·

Le Palazzetto Bru-Zane nous a habitués à l’excellence, et il n’est aucun des volumes de la collection « Opéra français » qui n’ait été au moins d’un grand intérêt, au mieux une révélation (Dimitri de Joncières demeurant sans doute la révélation la plus éclatante de la collection jusqu’à ce jour). Aussi la question qui se pose en allant à la rencontre du Cinq-Mars de Gounod est : alors, grand intérêt ou révélation ?

Comme avec Les Barbares, on ne découvrira pas ici un compositeur totalement inconnu : longtemps, Gounod, comme Saint-Saëns, et au côté de Bizet, a fait partie des piliers du répertoire lyrique français. En 1877, il n’en allait pas autrement de la célébrité de l’auteur de Faust, et « un monsieur de l’orchestre », dans un texte intitulé Bruits de couloir, imaginait que M. Carvalho, alors nouvellement directeur de l’Opéra-Comique, s’était dit : « Il me faudrait frapper un grand coup ! J’ai eu Faust, j’ai eu Roméo, ah ! si Gounod voulait ! » L’écrivain ajoute « Et Gounod voulut », et ce fut Cinq-Mars.

Le Faust aurait-il, à force d’être répété jusqu’à la nausée, à force d’être un « passage obligé », détournée de Gounod ? Voici Cinq-Mars qui nous invite à y revenir, et nous donne à entendre une œuvre où abondent les mélodies pleines de charme (et dès l’ouverture en forme de pot-pourri, on est sous le charme — et l’on se plaît diantrement dans toutes ces mélodies délicieuses, irrésistibles), où la déclamation est toujours exemplaire, l’harmonie d’une fulgurante efficacité sentimentale, l’orchestre aimablement traité — sans être qu’il soit envahissant, ses interventions réjouissent : les introductions des scènes, les entrées des personnages sont particulièrement réussies, comme par exemple les quelques notes qui annoncent l’arrivée du Père Joseph à l’acte I, ou bien le bref prélude de la scène de François de Thou, à l’acte II, ou encore les quelques mesures au début de l’acte IV. La partition est agréablement variée, entre l’élégie aux abois que nouent la Princesse Marie et Cinq-Mars, l’ambiance de complot patriotique de la fin de l’acte II, le salon galant du début du même acte, le martyr du dénouement… Le drame est efficace, les atmosphères sont habilement créées (nous voulons dire : même dans une écoute privée de support visuel, comme est celle que l’on a chez soi avec un disque)… Bref, l’intrigue offre matière à tout un lot de parures musicales et Cinq-Mars, avec elles, plaît.

Inspiré du roman d’Alfred de Vigny, pionnier du roman historique, l’opéra de Gounod raconte l’histoire Henri Coiffier de Ruzé d'Effiat, marquis de Cinq-Mars, son amour pour la princesse Marie de Gonzague et la conspiration contre Richelieu qui s’ensuivit. C’était Richelieu lui-même, comme l’opéra le rappelle, qui avait fait élever progressivement le marquis de Cinq-Mars au rang de favori du roi, afin de contrer l’influence de Madame de Hautefort. Si l’opéra et le roman font du jeune marquis un personnage plutôt sympathique, l’histoire semble, elle, plus sévère, décrivant un ambitieux qui menait une vie dissolue et se moquait du roi tout en jouant avec son influence (et probablement pas seulement), et prêt, pour se venger du Cardinal, à comploter avec l’Espagne. Ces traits sont pardonnés, dans l’opéra, par l’amour : c’est parce qu’il aime la princesse Marie que Cinq-Mars agit ainsi, c’est parce qu’on la lui refuse, injustement bien entendu, qu’il se venge. Là encore, il semble qu’il fut en réalité un coureur et que Marion Delorme, qui apparaît d’ailleurs dans l’opéra de Gounod, compta parmi ses conquêtes ainsi que d’autres.

Mais il faut bien idéaliser un peu ! Qui prendrait intérêt à un ouvrage dramatique dont le personnage principal ne serait qu’un petit insolent ? Aussi Cinq-Mars est-il devenu un amoureux prêt à sauver sa patrie du joug surpuissant du vilain cardinal de Richelieu (qui, ici comme dans Les Trois Mousquetaires, est encore une fois le méchant tout désigné), « celui contre tout se brise ». Car de fait, le personnage de Cinq-Mars attire la sympathie, et ce dès les premières pages de l’opéra, que ce soit par son aimable légèreté en société dans la première scène, par l’évocation immédiate de son amour impossible immédiatement après, ou par la légende, racontée avec M. de Thou dans un beau duo (et annonciatrice du sort funeste qui les attend tous deux) des deux jeunes martyrs chrétiens : dès les premières pages de l’opéra, disons-nous, Cinq-Mars nous est présenté comme un jeune amoureux promis au martyr.

Confier le rôle à Mathias Vidal ne le rend que plus sympathique. Le ténor est parfait en tous points dans le rôle, que ce soit par les couleurs de la voix ou par la netteté impeccable de l’articulation et du sentiment dramatique qui se déploie dans chacune de ses apparitions. C’est une sorte de leçon de chant qu’il prodigue là, et quel ténor pourrait se vanter de conserver une si parfaite déclamation même dans l’aigu ? Son Cinq-Mars est incarné parce qu’il est dans le texte autant que dans la musique, son Cinq-Mars est passionné et brûlant, vibrant et brillant, incandescent même et ne peut que remporter les suffrages.

Face à lui, deux partenaires tout aussi exceptionnels. Véronique Gens d’abord, qui trouve en Marie de Gonzague un personnage qui lui convient bien, assez réservé, noble, un peu distant, toujours racé, princesse à tout moment. Elle semble ici dans la parfaite maîtrise de ses moyens et dans leur parfait usage. Tassis Christoyannis offre un conseiller François de Thou de grande classe, non moins noble, rempli de bienveillance, au timbre moiré et rassurant. En entendant son arioso à l’acte II autant que son air à l’acte III, on se dit que vraiment, on aimerait avoir de tels amis. Pour l’un comme pour l’autre personnage, on ne saurait imaginer que le rôle fût mieux tenu.

Il faut encore mentionner le Père Joseph, émissaire de Richelieu, confié à Andrew Foster-Williams qui réussit toujours aussi bien les personnages diaboliques. Dès son entrée, on sait qu’il sera le personnage néfaste de l’affaire, un peu inquiétant, et souvent complotant, fielleux, et cela tient autant à ce que la partition lui fournit qu’à sa manière de dire la réplique, de chanter les quelques notes, à son timbre même.

Les rôles secondaires sont plus qu’honnêtement chantés (on notera en particulier le deuxième tableau de l’acte II, dans le salon de Marion Delorme, pure friandise, un peu sucrée, comme il se doit, avec sa Carte de Tendre et son sonnet du Berger), et le Chor des Bayerischen Rundfunks, très bon chœur d’opéra, équilibré, superbement velouté, ne mérite pas moins de louanges que le reste de l’équipe. Le mot est lâché : équipe — c’est ce que l’on sent dans cette production où tous les maillons, chanteurs, chœur, orchestre, direction, œuvre, livret, semblent immanquablement liés les uns aux autres pour le meilleur (et jamais pour le pire) ; et il n’y a pas de maillon faible, car tel qui, peut-être, ailleurs, avec d’autres partenaires, serait moins excellent, trouve ici sa place et sa juste valeur. D’ailleurs, les ensembles sont réussis comme rarement.

Le Münchner Rundfunkorchester et son chef Ulf Schirmer savent éviter à la partition toute vulgarité, toute effet appuyé, excellent à soutenir, à donner du souffle sans jamais brusquer ; orchestre et chefs sont de bons partenaires pour les chanteurs dans cette aventure, se distinguant par leur élégance et leur justesse. La direction, raffinée, souple, mais jamais alanguie, porte en tout cas l’auditeur avec bienfaisance à travers les tableaux, les airs, les duos, les monologues et les grandes scènes, et le guide avec gentillesse à travers les beautés de l’œuvre, sans jamais en accuser les faiblesses (s’il y en a, car nous ne nous sommes dès lors pas demandé s’il y en avait, nous n’avons pas cherché à entendre ce que l’on ne nous donnait pas à entendre…).

Voilà sans doute la marque d’une production d’opéra réussie : tout semble à la bonne place, la musique est bien défendue, ses qualités séduisent, les rôles sont bien incarnés, et ainsi donné, ce Cinq-Mars coule de source.

Extraits

Fin de l’acte II, premier tableau (Cavatine, scène, trio)

Scène et arioso du conseiller de Thou

Scène de la conjuration (fin)

INFORMATIONS

Gounod : Cinq-Mars

Mathias Vidal, le Marquis de Cinq-Mars
Véronique Gens, Marie de Gonzague
Tassis Christoyannis, le conseiller François de Thou
Andrew Foster-Williams, le Père Joseph
André Heyboer, le Vicomte de Fontrailles
Norma Nahoun, Marion Delorme
Marie Lenormand, Ninon de L’Enclos, un Berger

Chor des Bayerischen Rundfunks
Münchner Rundunkorchester
Ulf Schirmer, dir.

2 CD, 76’49+61’28, Palazzetto Bru-Zane / Ediciones Singulares, 2016.

D’AUTRES ARTICLES

Visée aux vents. Robert de Visée, La Musique de la Chambre du Roy • Manuel Strapoli et al..

Tourments, mais encore ?. Anima Sacra

Jakub.

Un autre Faust. Gounod : Faust • Les Talens lyriques, Christophe Rousset.

Mafalde corte con Zucchine e Gamberetti

On dit toujours force mal des réseaux sociaux, mais sans…