Credo in unum Carpentarium

par Loïc Chahine · publié mardi 22 decembre 2015 ·

Si l’on ne peut pas (ou du moins plus) dire que Marc-Antoine Charpentier est un compositeur peu connu, certains pans de son œuvre demeurent moins explorés que d’autres. Là où l’on compte trois versions disponibles sur le marché de son opéra Médée et un nombre que nous n’avons même pas cherché à évaluer d’enregistrements du célèbre Te Deum, le corpus des « petits motets » est beaucoup moins enregistré, si l’on excepte quelques « tubes » comme le Miserere dit « des Jésuites ». Et si parmi les disques mémorables consacré à ce corpus, il faut absolument connaître les Motets pour le Grand Dauphin qu’offrait l’ensemble Pierre Robert en 2007 (Alpha), sans doute faut-il aussi désormais compter avec les Motets pour une princesse de l’ensemble Marguerite Louise (des prénoms d’une cousine de François Couperin décrite par Titon du Tillet comme l’une des musiciennes les plus célèbres de son temps1).

Les deux disques se ressemblent : ils proposent une alternance de (petits) motets — c’est-à-dire de motets pour petit effectif, sans chœur — et de pièces d’orgues de contemporains de Charpentier (ici Boyvin, là, chez Frédéric Désenclos, de Marchand). L’effectif réuni autour de l’organiste (et directeur de l’ensemble) Gaétan Jarry est toutefois plus important que celui auquel avait fait appel Frédéric Désenclos : cinq voix, deux violons, trois flûtes, deux violes, basson, théorbe… On ne radinait pas sur la musique, chez Mademoiselle de Guise ! Tempérons toutefois ce premier aperçu : si l’on excepte le dernier motet (Usquequo Domine H 196), tous les motets sont à trois voix (deux dessus et basse-taille ou dessus, bas-dessus et basse-taille) ; seul le premier et son prélude (Ave verum H 329 et « Pour un reposoir » H 523) font appel au ténor de viole (c’est-à-dire à une deuxième viole, à une viole hors du continuo). Il n’en demeure pas moins que la plupart des motets ont des violons et des flûtes, ce qui permet à Charpentier de varier les effets, et en particulier d’alterner tous (violons et flûtes) et seuls (violons ou flûtes).

Charpentier a été au service de la Duchesse de Guise de son retour d’Italie, en 1670, jusqu’en 1688. Les motets ici proposés couvrent presque toute cette période, depuis le Domine Dominus noster H 163, probablement du milieu des années 1670, à l’Usquequo Domine H 196 de la fin des années 16802. On n’y perçoit pas une grande évolution, toutefois, entre les premières pièces et les dernières ; sans doute le compositeur, dès les années 1670, a-t-il forgé son propre style. Ici, Charpentier est au sommet de son art. Il rapporte d’Italie, où il a étudié entre autres avec Carissimi, le goût d’un contrepoint où abondent les dissonances, tout en conservant une inspiration mélodique française, très reconnaissable. Ah ! comme il est délicieux d’entendre, à la fin de la première section du Domine Dominus H 163 (mesures marquées « lentement », une septième suivie d’une neuvième (par le jeu des retards) ! En vérité, je vous le dis : les neuvièmes, y’a que ça de vrai.

Ces qualités sont magnifiées par l’unité dont fait preuve l’ensemble Marguerite Louise, son équilibre. Ici, rien n’est sacrifié : ni le phrasé, la ligne, ni l’harmonie, le rapport des lignes entre elles — ni non plus le son. Car cet ensemble, bien que ce soit là son premier disque, a un son bien à lui, qu’il doit en particulier aux voix, qui sont mi-lyriques mi-naturelles ; elles sont claires sans chercher à être brillantes, toujours souples, souvent touchantes, et les instruments leur emboîtent le pas. Sans jamais donner dans les effets de manche ni tomber dans quelque excès que ce soit, l’ensemble Marguerite Louise sait éclairer les différentes section des motets d’une lumière légèrement différente, ici plus intime, là plus solennelle… Il suffit d’écouter le Quam dilecta, H 186, bonne illustration de la dramaturgie délicate que l’ensemble parvient à mettre en place. À chaque instant, on a l’impression que l’ensemble a trouvé le tempo qui convient, le phrasé qui fait sonner les mélodies, bref, le ton juste.

Les motets éclipsent sans peine les pièces d’orgue, certes charmantes, certes bien jouées, mais qui sont loin, à nos oreilles du moins, de pouvoir rivaliser avec les délices que nous offre Charpentier dans un Quam dilecta ou un De profundis.

Nous le disions d’emblée : voilà un enregistrement qui s’impose d’emblée comme une référence dans la discographie. On ressent à l’écoute des six motets une véritable tendresse — car cette musique de Charpentier a véritablement la capacité d’attendrir, et l’ensemble Marguerite Louise celle de nous faire fondre. Et on revient volontiers à ce sentiment-là, car « tout notre raisonnement se réduit à céder au sentiment3 ».

Notes

1. Cette information est donnée sur le site de l’ensemble.

2. Nous empruntons ces datations à l’ouvrage de H. W. Hitchcock, Les œuvres de Marc-Antoine Charpentier, catalogue raisonné, Picard, 1982.

3. Blaise Pascal, Pensées, S 455, B 274, L 530, Le Livre de poche, 2000, p. 320. Nous soulignons.

Extrait

Quam dilecta

INFORMATIONS

Marc-Antoine Charpentier : Motets pour une princesse

« Pour un reposoir » H 523, Ave verum H 329, Domine Dominus noster H 163, Gadia Beatæ Virginis Mariæ H 330, Quam dilecta H 186, De profundis H 232, Unsquequo Domine H 196.

Jacques Boyvin : Pièces d’orgue.

Ensemble Marguerite Louise
Gaétan Jarry, orgue et direction.

1 CD, 67’, L’Encelade, 2015.

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