Au-dessus des tranchées, le ciel

par Loïc Chahine · publié dimanche 1 novembre 2015 ·

Toute contribution de qualité à la discographie de la cantate française est bienvenue. Le genre, en effet, peine à se défendre au disque, et il faut se tourner soit vers des publications déjà anciennes, soit vers d’autres relativement confidentielles. Voici donc un enregistrement qui tombe à pic, puisqu’il nous propose deux cantates, dont l’Ariane de Philippe Courbois, qui demeure rare, quoiqu’elle ne soit pas inédite — elle avait déjà été enregistrée par Agnès Mellon et son ensemble Barcarole en 2004 pour Alpha. On s’en réjouit d’autant plus que c’est sans doute la réussite du disque.

Et d’abord par la qualité de la musique. Courbois a bien des idées ; le premier air, marqué « Fort lent », qui est une espèce de sommeil, séduit ; la tempête surprend, en particulier par le changement de tonalité qu’elle amène ; la petite galanterie finale est aimablement troussée, avec la quasi-hémiole qui termine son thème… Tout cela plaît, tout cela charme et s’imprime à l’esprit.

Face à ce petit bijou, l’Orphée de Rameau — qui a, lui aussi, déjà eu les honneurs du disques, ne fût-ce qu’avec Cyril Auvity et son ensemble L’Yriade, ou plus récemment avec Mathias Vidal et l’ensemble Amarillis — fait un peu pâle figure. La dramaturgie est plus molle, les contrastes moins tranchés… Rameau ne s’y était pas trompé qui ne l’avait pas publiée dans son bref livre de Cantates françaises. Mais peut-être le nom seul de Rameau fait-il attendre trop de merveille : s’il était écrit « Bernier », serait-on aussi sévère ? On pourrait toutefois souhaiter que les autres cantates, comme L’Impatience, soient aussi honorées.

En 2011, à l’issue d’une représentation de petits opéras de Charpentier par la Pépinière des Voix, nous écrivions « qu’Hasnaa Bennani possède une voix claire et puissante, un joli timbre, une précision dans l’ornementation, des aigus sans la moindre aigreur, un grave peut-être manquant encore d’appui, bref, une voix légère et agile mais non sans corps. Assurément une révélation ! » Sans doute n’y a-t-il pas un mot à retrancher : celle qui promettait de devenir une grande est en bonne voie pour le devenir. Le timbre, plus que joli désormais, est rond et plein ; la voix est ample, et fait penser, par son autorité, à ce qu’ont pu être, peut-être, certaines grandes chanteuses françaises du xviiie siècle. Hasnaa Bennani séduit autant par ces qualités que par un juste équilibre entre articulation du texte — on ne perd pas un mot de ce qu’elle dit — et sens de la ligne chantée. C’est par elle que les personnages, et en particulier la sensible Ariane, vivent et frémissent.

L’ensemble Stravaganza est souvent un rien trop réservé à notre goût ; on lui souhaiterait plus de profondeur dans le son, plus d’engagement dans les articulations. Nous n’avons rien contre la violoniste Domitille Gilon, qui joue fort joliment, en particulier les mouvements vifs, mais quand on entend la superbe chaconne des Pièces en trio de Marais qui clôt le disque, l’équilibre auquel y parvient l’ensemble Stravaganza en formation un peu plus nombreuse, on se demande pourquoi une sonate à moindre effectif (violon et basse continue, avec quelques émancipations de la viole par endroits) a été préféré à davantage de trio… ou bien une troisième cantate ! La lecture de cette sonate en mineur d’Élisabeth Jacquet de La Guerre n’a que cela de décevant, car l’interprétation est d’aimable facture, et semble même gagner en caractère au fil des mouvements. Le continuo y montre, plus qu’ailleurs, sa maîtrise et sa richesse.

On goûtera avec délices l’accompagnement raffiné de l’Ariane de Courbois, et en particulier l’air « Ne vous réveillez pas encore » où éclatent, outre le beau son né de l’association du traverso d’Anna Besson (ou de Georges Barthel ? le livret ne précise pas lequel des deux flûtistes joue ici) au violon de Domitille Gilon, outre la basse de viole de Ronald Martin Alonso et la réalisation poétique de Vincent Fluckiger au théorbe, un sens de la couleur et du phrasé qui rendent cet air inoubliable. Ses quatre minutes s’enfuient « d’une vitesse extrême », comme dit Houdar de La Motte. Ici, l’on sent véritablement que l’héroïne d’Hasnaa Benanni est soutenue et prolongée par l’ensemble Stravaganza. Il en va de même dans le récitatif qui suit, avec ses échos à la flûte et son évocation des flots par la basse.

Le montage du disque souffre d’un petit défaut : à l’articulation des pistes, le temps de silence est trop long, qui rompt la continuité des œuvres, en particulier dans les cantates, et casse le rythme.

C’est donc ici un disque qui, quoique plutôt réussi, nous laisse par moments un peu sur notre faim, avec un goût d’inachevé. On perçoit de très grandes qualités par endroits, et l’on ne peut s’empêcher de regretter qu’elles ne soient pas partout. Néanmoins, l’Ariane de Courbois par Hasnaa Bennani et de ses comparses doit être connue, et en finissant par une grande chaconne, l’ensemble Stravaganza réussit, dans une certaine mesure, la captatio benevolentiæ. Espérons que les interprètes auront d’autres occasions de défendre à nouveau ce répertoire.

Extraits

Vellones : Lettre du front

Boulanger : Clairières…, « Parce que j’ai souffert »

INFORMATIONS

Clairières dans le ciel

Pierre Vellones : Lettre du front, Aux Gonces qui se débinent
Joseph Guy Ropartz : Quatre odelettes
Georges Migot : Sept petites images du Japon
Jacques de la Presle : Chanson de la rose, La branche d’acacia, « Heureux ceux qui sont morts… »
Lili Boulanger : Clairières dans le ciel

Cyrille Dubois, ténor
Tristan Raës, piano

1 CD, 73’42, Hortus, 2015. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

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