L’Apothéose de Couperin

par Loïc Chahine · publié vendredi 30 novembre 2018 · ¶¶¶¶

Couperin lui-même avait imaginé qu’on pût jouer à deux clavecins l’Apothéose de Corelli et celle de Lully. « Je les exécute dans ma famille et avec mes élèves avec une réussite très heureuse, savoir, en jouant le premier dessus et la basse sur un des clavecins, et le second [dessus] avec la même basse sur un autre à l’unisson. La vérité est que cela engage à avoir deux exemplaires au lieu d’un, et deux clavecins aussi. » À l’heure où le facsimilé et la photocopie permettent aisément d’avoir deux partitions, Olivier Baumont et Béatrice Martin ont trouvé des clavecins de choix : un Ruckers ravalé par Nicolas Blanchet et un clavecin signé François-Étienne I Blanchet (quoiqu’en réalité construit par un compagnon originaire du Palatina, Johann Conrad Pixius). La particularité de ces deux instruments ? Ils sont conservés au Château de Versailles, dans le Grand Cabinet de Madame Victoire où a eu lieu cet enregistrement. C’est dire d’emblée le parfum de privilège qui règne sur cet enregistrement.

Pour autant, rien ici de la raideur de l’étiquette, ou de l’image d’une cour sclérosée dans l’ennui du roi vieillissant, mais au contraire beaucoup de souplesse, de charme, de fraîcheur même, malgré l’opulence de ces deux instruments dont les résonances se répondent et sont encore enrichies par un théorbe qui se joint à la basse continue. Un autre témoignage, un peu plus ancien, indique en effet qu’on joua, à la cour, en certaines occasion, des pièces de clavecin avec un luth en plus ; Olivier Baumont avait déjà ressuscité cette pratique dans son intégrale des pièces de Chambonnières. Et, comme alors, le théorbe est ici joué par Claire Antonini, c’est tout dire.

Partout, les deux clavecinistes exaltent la tendresse de Couperin ; la moindre mélodie est touchée avec une délicatesse et une clarté qui rendent le tout délicieux. On chavirerait dès que s’élèvent les premières notes du Gravement de l’Apothéose de Corelli, où les voix sont nettes mais jamais sèches, on se délecte du frémissement des eaux de l’Hippocrène au moment de l’ « enthousiasme de Corelli ». Bref, tout cela respire et sourit.

Seule ombre au tableau : le récitant. Nous ne croyons pas qu’il soit besoin d’énoncer le programme de chaque petite section des Apothéoses ; au contraire, le flux musical s’en trouve fragmenté… De plus, Julien Cigana adopte une diction très théâtrale, alors que la lecture à deux clavecins renvoie à un usage plus intimiste, plus domestique, et que le disque parvient justement à éloigner le mot d’apothéose de celui de cérémonial.

Pour autant, notre plaisir n’est pas gâché, et si William Christie et Christophe Rousset avaient déjà porté au disque cette version à deux clavecins, c’était avec autant de faste, plus de mythe, mais moins de douceur, d’autant que Béatrice Martin et Olivier Baumont bénéficient, en plus des instruments historiques, d’une prise de son plus flatteuse et plus caressante que celle de l’enregistrement de 1987. Sans doute faut-il connaître les deux ; pour nous, notre cœur déjà balance un peu…

INFORMATIONS

Couperin : Apothéoses

Béatrice Martin, Olivier Baumont, clavecins
Claire Antonini, théorbe
Julien Cigana, récitant

1 CD, 59’30, NoMadMusic, 2018.

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