Cantate à Luther

par Jean Massard · publié jeudi 15 novembre 2018 · ¶¶¶¶

Ce disque réunit des cantates issues des archives de la famille Bach (on y retrouve ainsi deux pièces maintes fois enregistrées de Johann Christoph Bach, « Wie bist su senn, o Gott » et Ach dass ich Wassers gnug hätte ») et de plusieurs autres compositeurs gravitant autour de la chapelle ducale d’Eisenach — Nicolas Bruhns ou bien Johann Pachelbel —, et ceci durant l’enfance du cantor dont le père Johann Ambrosius était lui-même violoniste attaché à l’ensemble. Nombre de ces pièces sont des raretés (« Ich will aller not » de Eberlin est ici enregistré pour la première fois), écrites pour voix seule ou deux chanteurs (« Laetatus sum » de Biber est écrit pour un duo de basses) et violon soliste, alors même que cet instrument prend une place importante dans l’ensemble de la chapelle sous la houlette du Kapelmeister Daniel Eberlin, violoniste virtuose au même titre que Biber, un symbole de la tradition du violon d’alors aussi convoqué dans l’opus.

On connaît l’importance du texte pour le luthéranisme et l’attention que portent ces compositeurs à la rhétorique est remarquable. Tout au long du disque, le violon soliste apporte une surprenante mise en lumière des paroles, se mêlant avec les chanteurs pour en souligner le sens. Presque chaque mot trouve une résonance dans l’écriture musicale, que ce soit par la mélodie, l’harmonie ou l’instrumentation. Ainsi, dans le Nisi Dominus de Biber, qui fait monter l’auditeur vers une certaine extase, les dons divins du « Cum dederit » tombent en pluie merveilleuse de batteries.

Johannes Pramsohler se prête avec une déconcertante dextérité à cet l’exercice de haute voltige. On apprécie la délicatesse de ses nuances, ne se laissant pas aller à de simples cabrioles dans les introductions musclées, bien qu’on puisse frôler dans « Ach Herr, wie ist meiner Feinde so viel » — la virtuosité s’y estompant — une certaine pesanteur bien vite oubliée. Il se glisse avec pertinence derrière le chanteur, à l’exemple de Mein Herz ist bereit de Nicolaus Bruhns, ne l’accompagnant pas mais brodant, détaillant, ciselant la mélodie d’une voix en contrepoint, se parant presque du timbre d’une trompette triomphante lorsque Nahuel di Piero en appelle à la gloire Wache auf, meine Ehre !

Des chanteurs en présence, on salue d’abord la basse qui dirige l’ensemble Diderot, Nahuel di Piero. Il est d’une part le chanteur le plus présent dans l’enregistrement mais on apprécie aussi sa voix large et sûre dans les nombreuses vocalises (à l’exemple des pleurs que sont les flots de notes dans « Wie bist du denn, o Gott" de Christoph Bach). Sa chaleur et son timbre cuivré s’accordent bien avec la couleur du violon solo. Ce rhéteur aguerri, dans ses sermons mis en musique, a pleinement conscience du sens de son texte et son ambitus allant chercher de puissants aigus, n’est limité que dans le grave de l’abîme « in den Abgrund gehen » de « Wie bist denn, o Gott ».

Andrea Hills, soprano, prend pleinement possession de ses moyens dans la cantate « Ach dass ich Wassers gnug hätte » et sa maîtrise de la ligne n’est troublée que par un vibrato qui pourrait être utilisé plus parcimonieusement. Elle fait ici davantage corps avec l’ensemble que dans sa première intervention (« Christ ist erstanden », Pachelbel) où, assez inintelligible par un excès de vibrato et isolée du continuo qui l’accompagne, elle peine à créer une véritable homogénéité avec l’ensemble.

Du ténor Jorge Navarro Colorado, on note la voix brillante, colorée, qui se marie bien avec le timbre des cordes. S’il paraît être quelque peu en instabilité au début de la cantate « Ich will in aller Not » de Daniel Eberlin (sa seule intervention), son assurance s’installe avec son discours : « Je suis bien certain que rien ne peut me faire tomber », chante-t-il.

Quant à Christopher Purves, peu présent dans ce disque, il souligne subtilement par son timbre vibrant et dense, la voix de Nahuel di Pierro qui éclaire le duo par plus d’harmoniques et de relief.

Enfin, l’ensemble instrumental, épuré tout au long du disque, est d’une homogénéité très douce. Le continuo, solide quand il accompagne seul les chanteurs, sait s’enrichir des voix intermédiaires selon l’instrumentation des différentes cantates, mais ceci toujours dans un encrage grave et dépouillé bien que solennel. Comme le fond d’un clair-obscur, il donne à cette musique exigeante, une humanité fragile et humble face au tourments de l’âme auxquels les compositeurs d’Eisenach semblent ne pouvoir apporter que le remède de la foi.

INFORMATIONS

Cantates germaniques avec violon solo

Œuvres de Johann Christoph Bach, Heinrich Ignaz Franz Biber, Johann Pachelbel, Nicolas Bruhns, Daniel Eberlin

Nahuel di Piero, basse & direction
Johannes Pramsohler, violon solo
Andrea Hill, soprano
Jorge Navarro Colorado, ténor
Christopher Purves, basse

Ensemble Diderot

77’47, Audax records, 2018

D’AUTRES ARTICLES

Visée aux vents. Robert de Visée, La Musique de la Chambre du Roy • Manuel Strapoli et al..

Tourments, mais encore ?. Anima Sacra

Jakub.

Un autre Faust. Gounod : Faust • Les Talens lyriques, Christophe Rousset.

Mafalde corte con Zucchine e Gamberetti

On dit toujours force mal des réseaux sociaux, mais sans…