Madeleine sans tisane émeut tout autant

par Jean Massard · publié jeudi 27 septembre 2018 · ¶¶¶

Troisième parmi la quarantaine d’oratorios composés par Caldara à Venise, la Maddalena ai piedi di Cristo conte les tourments de Marie-Madeleine tiraillée entre l’Amour Terrestre et sa luxure, et piété de l’Amour Céleste. Plusieurs années après la version incontournable dirigée par René Jacobs (Harmonia Mundi, 1995), où brillaient, entre autres, les jeunes Maria Cristina Kiehr, Bernarda Fink et Andreas Scholl, c’est au tour du contre-ténor Damien Guillon d’enregistrer la partition, entouré d’un plateau moins mythique mais presque aussi prestigieux.

Emmanuelle de Negri se révèle une grande Madeleine. L’épaisseur de sa voix vient adoucir en arrière-plan un rayon à l’ancrage tellurique et saisissant de précision. Ses récitatifs, très justement racontés, tiennent en haleine. Tout est sûr, détaillé : les trilles, les vocalises, les désinences, sont un travail d’une finesse éblouissante. Enfin, elle s’avère d’une vérité profonde dans les airs qu’elle interprète et l’ornementation des da capo jouit de cette sûreté et de cette précision grisante.

La voix fine, au pincé cristallin d’un clavecin, donne à la Marta de Maïlys de Villoutreys une efficacité précise et une très grande délicatesse. Elle émeut par la simplicité assez déconcertante avec laquelle elle prie les « Fortunate lagrime » de Madeleine. Le rôle de l’Amour Terrestre, ne serait-il pas un peu trop aigu pour la contralto Benedetta Mazzucato ? Elle se montre plus convaincante dans des graves ébauchés, qui paraissent vertigineux (« Voi del Tartaro »). Ses récitatifs sont toutefois très expressifs, et ne manquent en rien de théâtralité.

Le registre brillant de Reinoud van Mechelen surprend dans le rôle du Christ. Le ténor capte son auditoire par la maîtrise très sûre de son premier air « Ride il ciel e gl’astri brillano », mais manque parfois un rien de chair, par exemple dans le récitatif « L’atto intenso, che uscito ». Riccardo Novaro prête au Pharisien un timbre crépitant, une voix de baryton puissante mais souple. L’air « Questi sono arcani ignoti » s’installe entre l’obscurité des graves et la brillance des registres plus aigus. Bon comédien par ailleurs, il menace avec éclat dans le récitatif « Mio Dio, mio redentor ».

En plus de diriger, Damien Guillon prête sa voix d’alto à l’Amour Céleste. Passant d’un calme assez austère dans les graves, à une densité d’harmoniques grisante dans les aigus, il apporte à l’air « Spera, consolati » une délicieuse sensation d’élévation, tandis que son ornementation est flamboyante et les vocalises, d’une force toute naturelle. Le récitatif « O Ciel, chi vide mai » fait entendre la pertinence d’un falsettiste dans ce rôle tant il semble tomber du ciel. On lui pardonnera ainsi de marcher sur des œufs dans l’air « Me ne rido di tue glorie », dont le sens se perd quelque peu.

En tant que chef, il n’oublie pas sa rhétorique et fait miroiter le Banquet Céleste comme un velours chamarré. Les ritournelles, efficaces, emportent l’auditeur. Étoffé, très présent, le continuo crée des ambiances à l’éclairage subtil et et insuffle ses caractères à l’orchestre avec assurance et noblesse. Tout au plus lui reprochera-t-on de se montrer trop envahissant et marqué par rapport aux parties de dessus dans quelques mesures de la première Sinfonia.

Mais c’est l’accompagnement des airs qui permet avant tout à la phalange de montrer sa grande maîtrise des couleurs et de déployer un son moiré. Dans le célèbre « In lagrime stemprato », elle déploie une profondeur, une amertume immensément douces tandis que l’autre morceau de bravoure du rôle de Madeleine « Per il mar del pianto mio », est l’occasion de montrer toute la fragilité fine et très justement contrôlée de l’ensemble instrumental. En revanche, « Chi drizzar di pianta adulta » souffre d’une exécution un peu militaire qui brouille le message porté par le personnage.

Et si René Jacobs éblouissait en 1995 par son sens du drame, la version proposée par Le Banquet Céleste cultive une autre approche, qui marque par sa pudeur et son rapport aux cieux.

Extraits

« Spera, consolati » (Amor Celeste)

« Per il mar del pianto mio » (Maddalena)

INFORMATIONS

Caldara : Maddalena ai piedi di Cristo

Le Banquet Céleste
Emmanuelle de Negri, soprano
Maïlys de Villoutreys, soprano
Benedetta Mazzucato, contralto
Reinoud Van Mechelen, ténor
Riccardo Novaro, baryton
Damien Guillon, contre-ténor et direction

2 CD, 2h08, Alpha Classics, 2018.

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