Ainsi parla Lalande ?

par Jean Massard · publié samedi 12 mai 2018 · ¶¶¶¶

Michel-Richard de Lalande, maître de chapelle du Roy à partir de 1683, a vite fait de supplanter tous les autres dans les goûts du souverain. Il livre en 1684 la première version d’un Te Deum qui en connaîtra plusieurs et qui restera au répertoire de la Chapelle royale jusqu’en 1755. Outre l’enregistrement d’un des derniers remaniements de l’œuvre, ce nouveau disque du Poème Harmonique présente deux grands motets écrits aux débuts versaillais, dès 1681, Ecce nunc Benedicite et Deitatis majestatem.

Comme le souligne le chef dans le livret du disque, le « Te Deum simple le feu roi ayant voulu qu’il ne durât guère plus que sa messe ordinaire » nous est transmis par une source d’un intérêt capital, en ce qu’elle indique la durée de chaque mouvement en minutes et quarts de minutes. Toutefois, ces précisions ne sont pas ici systématiquement respectées, et l’on est déçu que bien souvent, la durée des mouvements, en particulier des mouvements lents, s’allonge de trente secondes en moyenne : on perd ainsi parfois un fil conducteur dans des mouvements qui s’essoufflent, à l’exemple du « Sanctus » dont la nonchalance du « pleni sunt cœli et terra » n’a plus grand-chose d’exultant. L’ensemble manque ainsi souvent de rhétorique, compensée par des effets assez caricaturaux de nuances sur certaines reprises, tandis qu’on manque parfois d’une véritable ligne directrice à l’exemple du « In noctibus » qui se délite quelque peu, malgré le son caressant de l’ensemble.

Car l’orchestre de Vincent Dumestre a un son véritablement pur et souple, notamment dans le « Tu ad liberandum » du Te Deum et l’on remarque surtout l’épaisseur sûre et agile des anches tout au long du disque tandis que le basson cisèle la basse avec une précision remarquable. Toutefois, on s’interroge quant à l’utilisation de flûtes à bec en 1720, à fortiori pour remplacer les violons dans l’accompagnement du « Sanctus ». L’ensemble Aedes, quant à lui, par ses voix jeunes, apporte une grande fraîcheur à cette musique assurément faite céleste pour les chérubins du « Te omnes angeli ».


Manuscrit du Te Deum, f. 12v. On remarque l’indication « 2 m 1/2 », c’est-à-dire « deux minutes et demie ».

Des deux sopranos, on peut remarquer l’homogénéité du « Te gloriosus » où les voix évoluent dans un croisement très subtil. L’émission un peu dure d’Emmanuelle de Negri peut quelquefois chiffonner mais Dagmar Sasakova trouve une place très pertinente dans ce répertoire par un timbre au reflet brillant et chaud, surtout dans le « Tu ad Liberandum ».

On retrouve difficilement la même homogénéité chez les hommes dans le « Miserere nostri domine » où les voix ne s’équilibrent pas parfaitement, peut être à-cause du registre périlleux où André Morsch s’aventure : la basse force dans les graves tandis qu’elle peut être puissante, agile et très expressive dans le medium plus confortables du « Tu devicto ». La haute-contre de Sean Clayton est nette dans son émission, assez sage par sa voix pure qui trouve sa place avec justesse lorsqu’elle intervient dans « His enim misericordis ». Cyril Auvity, enfin, dont on relève le « Æterna fac cum sanctis tuis » conduit vers un déchaînement contenu mais jubilatoire, charme profondément par sa voix au timbre proprement baroque et qui trouve sa place à merveille dans ce répertoire.

Que retiendra-t-on de cet enregistrement ? D’abord, la plastique du son du chœur et de l’orchestre ; ensuite, certains moments magnifiés par les solistes. Il est toutefois regrettable que l’ensemble du disque nous paraisse d’un intérêt inégal, car la musique de Michel-Richard de Lalande est encore trop peu jouée aujourd’hui.

Extraits

Te Deum, « Te Æternum Patrem »

Te Deum, « Sanctus »

Te Deum, « Æterna fac »

INFORMATIONS

Michel-Richard de Lalande : Majesté

Grands motets Ecce nunc Benedicite, Deitatis majestatem et Te Deum

Emmanuelle de Negri, soprano
Dagmar Šašková, soprano
Sean Clayton, haute-contre
Cyril Auvity, ténor
André Morsch, basse
Ensemble Aedes, Mathieu Romano
Le Poème Harmonique
Vincent Dumestre, dir.

1 CD, 74’32, Alpha Classics, 2018.

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