Crépuscule de Couperin

par Wissâm Feuillet · publié mercredi 11 avril 2018 · ¶¶¶¶

Il semble que Blandine Verlet joue Couperin depuis toujours. Voici d’ailleurs ce qu’elle écrivait à propos de son rapport à Couperin dans son livre L’Offrande musicale (Desclée de Brouwer, 2002, p. 20) :

« Tiraillée entre le désir de parcourir, de découvrir, et la crainte d’abîmer
De m’abîmer peut-être

La crainte d’échapper au rêve
Ou de m’en emparer
Et le briser peut-être […]

Mais jouant depuis de longues années tout l’œuvre de François Couperin je suis fière d’avoir pris mon audace à deux mains
Et de m’enrichir au contact de ce monde clos mais infiniment limpide »

Si ses premiers enregistrements dédiés à Couperin dans les années 70-80 (Astrée) figurent en bonne place dans la discographie, et si la précédente sélection gravée en 2012 (Aparté) n’est pas à négliger, il faut bien avouer que ce nouveau volume nous laisse sur notre faim et donne l’impression d’un crépuscule, comme si cette « crainte d’abîmer » que la musicienne confiait s’était réalisée. C’est peut-être par excès de prudence que ce disque pèche : craignant de « s’emparer » de cette musique qui a tout du « rêve », Blandine Verlet donne l’impression de ne plus en restituer la chair, de perdre le contact avec la matière sonore. Le « monde clos » dont elle parle s’est tellement refermé sur lui-même qu’il n’a plus guère sa « limpidité ». L’écoute du disque est inégale : quelques pièces joliment réussies voisinent avec d’autres dont le rendu est trop abstrait pour toucher.

C’est avec un jeu globalement léger que la claveciniste aborde ces pièces extraites du Troisième Livre de Couperin, et ce dès l’entame : Les Lys naissants sonnent un peu grêles et manquent d’une conduction claire. Les Roseaux et L’Engageante sont honnêtement jouées et présentent des dynamiques plus assumées, mais toujours un peu timides : on eût aimé entendre dans Les Roseaux un bruissement plus suggestif, moins égal. Ce n’est pas que le jeu soit mécanique, mais il manque, nous semble-t-il, de cette liberté nécessaire à l’incarnation.

À vrai dire, pour un ensemble de pièces de caractère, l’ensemble paraît manquer de caractère ; l’on ne sent pas bien une véritable adéquation entre la lecture proposée et ce que le titre de la pièce suggère. Certes, les titres de Couperin, nous le savons bien, ouvrent souvent un spectre interprétatif large, mais certains sont d’une relative clarté… En ce sens, Les Folies françaises sont un tantinet à la peine : c’est assez net dans « L’Ardeur » et « La Frénésie », où l’on ne sent ni bouillonnement intérieur, ni emportement — ni ardeur, ni frénésie. Où est la turbulence du Turbulent, qui s’en tient à une gentille vivacité ? Quant à « Sœur Monique », où est sa malice, son piquant ? Un infléchissement de son humeur ne paraît que dans la dernière partie de la pièce, et le tempo choisi y est pour beaucoup. Le Tic-toc-choc, enfin, se déploie un peu mollement et son aspect percussif, « martelant » — « choc » — n’est qu’esquissé, fondu, faute, encore une fois, d’un tempo plus allant et d’une articulation marquée.

Malgré l’apparente fatigue du jeu de Blandine Verlet, quelques réussites se détachent : dans Les Folies françoises, « La Pudeur », « La Coquetterie » et « La Jalousie taciturne » font mouche. « La Verneuil », « Le Gaillard boiteux » et la chaconne La Favorite sont de bon aloi, mais nous regrettons quelque peu la fougue des premiers disques que la claveciniste avait consacrés à Couperin, plus francs, inventifs, vivants, qu’il faudrait songer à rééditer.

INFORMATIONS

François Couperin : Pièces de clavecin

Blandine Verlet, clavecin

1 CD, 56’25, Aparté, 2018.

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