Surprenant héritage

par Loïc Chahine · publié dimanche 18 février 2018 ·

Rameau et le réemploi, Rameau et l’arrangement, c’est tout une histoire. On connaît bien celle du célèbre air des « Sauvages » qui fut originellement composé pour accompagner une exhibition d’Indiens d’Amérique du Nord à la Comédie-Italienne en 1722, puis modifié, agrandi et intégré à l’entrée « Les Sauvages » ajoutée aux Indes galantes en 1736, après être passés entre temps par les Nouvelles Suites de pièces de clavecin en 1727. On les retrouvera encore dans l’un des Concertos comiques de Corrette. L’exemple n’est pas isolé ; ainsi, les « Niais de Sologne », qui sont à la fois dans les pièces de clavecin et dans Dardanus, furent aussi arrangés pour deux flûtes par Michel Blavet…

Il était tentant de poursuivre l’aventure. Et quoi de plus stimulant que de savoir que Rameau fut joué à l’orgue, peut-être en concerto, par Balbastre dans les années 1760 ? C’est du rêve de recréer des concertos pour orgue baroque avec toute la richesse de la musique de Rameau, « son génie [qui] confère à ces arrangements un attrait que le style italianisant de Tapray ou Corrette n’arrive pas à égaler » qu’est né ce disque. Yves Rechsteiner a tout bonnement constitué trois concertos à partir de pièces de Rameau : les Sauvages, l’« Air pour les esclaves africains » des Indes, les Tendres plaintes (qui existent chez Rameau pour clavecin seul mais aussi comme danse dans Zoroastre), l’air « Lieux funestes » (de Dardanus) ou le trio des Parques (d’)…

Anecdotique ? Ce disque pourrait l’être s’il n’était jubilatoire. Car « le génie de Rameau » fait mouche (et les répétitions ne le font aimer que davantage), mais le talent d’arrangeur d’Yves Rechsteiner aussi. Bien plus inventif, lui aussi, qu’un Corrette, il joue des réponses entre l’orchestre et l’orgue, de qui commence et qui reprend, il s’amuse aussi avec le rythme, avec le contrepoint, bref : il invente et dispose (au sens de la dispositio rhétorique) à plaisir.

Le plaisir, c’est celui des auditeurs devant l’agilité dactylique de l’organiste, sa registration toujours intelligente et suggestive ; devant le fruité de l’ensemble Les Surprises, gorgé de sève vitale, faisant aussi bien entendre le « sujet » que tout son accompagnement, y compris les parties « intérieures ». Il n’y a que des cordes ? On l’oublie devant ces richesses.

Le programme est complété par quelques pièces des chers Rebel et Francœur, qui sont sans doute les compositeurs dont le style est le plus proche de celui de Rameau. Louis-Noël Bestion de Camboulas et ses Surprises s’en étaient déjà fait les défenseurs pour leur premier opus discographique, et il est manifeste qu’ils ont quelque chose à dire dans cette musique. On retrouvera, dans un arrangement nouveau, quelques pièces déjà présentes dans ledit enregistrement, mais on en découvrira de nouvelles, comme le noble « Prélude », les séduisantes « Forlanes », et une « Fanfare » plus que charmante — alors que ce n’est pas l’adjectif, sans doute, qu’on accolerait de prime abord à « fanfare »…

Irrésistible, addictif, irrésistible parce qu’addictif, cet Héritage de Rameau est le genre de disques qu’on se passe en boucle.

Extraits

Rameau, « Les Niais de Sologne » (arr. Y. Rechsteiner)

Rebel et Francœur, Fanfare

INFORMATIONS

L’héritage de Rameau

Œuvres de Rameau arrangées par Yves Rechsteiner. Œuvres de Rebel et Francœur.

Yves Rechsteiner, orgue
Ensemble Les Surprises
Louis-Noël Bestion de Camboulas, clavecin et dir.

1 CD, Ambronay, 2017.

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