Une S.A.D.M.P. « sourire au lèvres et nez au vent »

par Loïc Chahine · publié samedi 7 octobre 2017 · ¶¶¶¶

Après un premier volume chez Actes Sud, la collection consacrée à la collaboration de Sacha Guitry avec des musiciens se poursuit chez Klarthe avec ce remarquable enregistrement de La S.A.D.M.P., c’est-à-dire « Société anonyme des messieurs prudents ». On connaît les fruits du travail de Guitry avec Messager (L’Amour masqué) et Hahn (Mozart, Ô mon bel inconnu — dont un bel enregistrement serait d’ailleurs fort appréciable), le compositeur Louis Beydts est moins connu, quoique les plus attentifs aient pu remarquer son nom au générique de quelques films du cher Sacha. On retrouve chez lui, comme chez Messager, ce même esprit de légèreté gracieuse et pétulante, exposé dès l’ouverture en pot-pourri et qui irrigue toute la partition, pleine d’invention, d’humour et de clins d’œil.

Opéra-comique ? Opéra bouffe ? La S.A.D.M.P. ne comporte pas de dialogues parlés entre les morceaux musicaux, et c’est une œuvre intégralement chantée, d’une durée d’environ trois quarts d’heure.

Le livret n’est assurément pas ce qui fera la gloire immortelle de Sacha Guitry, et tient de l’à-propos — quoiqu’on y remarque quelques bonnes trouvailles, comme, au moment de la répartition des jours de la semaine entre les quatre amants, le don du dimanche au plus âgé de la bande, parce que le dimanche, n’est-ce pas « le jour du bon vieux » ? En deux mots voici le sujet. Un homme arrive devant la porte de celle dont il entend faire sa maîtresse, du moins à qui il compte faire sa cour ; puis un deuxième arrive avec les mêmes intentions, et un troisième et enfin un quatrième. « Elle » (qui indiquera plus tard qu’on l’appelle Germaine, mais qui est désignée seulement par le pronom personnel dans la liste des personnages) finit par apparaître, mais l’importance des frais à débourser pour l’entretenir déconcerte les quatre galants, qui finissent par décider de s’associer en une Société Anonyme à Responsabilité Limitée : ils se partageront et la dame et les frais. Et voilà tout. Sacha Guitry s’est contenté de mettre en texte une sorte de boutade qui est aussi une Ode à la Parisienne, à la légèreté des mœurs, sans grande conséquence, destinée à mettre en valeur le jeu et le chant d’ « Elle », c’est-à-dire sa femme du moment (la deuxième), Madame Yvonne Printemps.

Difficile de passer après la forte personnalité d’Yvonne Printemps dans une pièce faite à ce point sur mesure pour elle que S.A.D.M.P. est aussi l’acronyme de « Société des Admirateurs De Madame Printemps » — mais de personnalité, Isabelle Druet n’en manque pas, et voici qu’après une vive Concepcion de L’Heure espagnole elle prête sa voix à un autre personnage de femme aussi envoûtante que volage. Isabelle Druet articule à merveille et excelle à ce style de chant qui oscille entre le parlé et le chanté — et emploie les nuances qui font un continuum de l’un à l’autre. Elle sait également tantôt se parer de couleurs diaphanes, un rien sucrées (par exemple au tout début de l’air « Les cartes à jouer »), tantôt épicer la voix qui a gardé cette légère pointe d’acidité citronnée qui fait partie de la personnalité vocale de la chanteuse — et qu’on aime bien, car elle n’a rien d’agressif. Tout au plus pourrait-on souhaiter qu’Isabelle Druet fasse parfois preuve d’un peu plus d’espièglerie (elle en donne un petit peu), de coquetterie, voire de coquinerie — ce qui ne l’empêche pas de demeurer tout à fait pétillante.

Difficile pour les quatre prétendants de se faire une place, d’autant que, si l’on excepte le début, ils ne semblent exister qu’en forme de groupe. On remarquera toutefois deux individualités chantantes fortes : Mathias Vidal, bien sûr, bien connu des amateurs d’opéra, qui semble, comme toujours, très à son aise, parce que la voix semble sortir toute seule, le chant n’entravant jamais le texte, son implacable articulation, et même un jeu d’acteur audible et délicieux. On remarque aussi Thomas Dolié, en vieux comte, comme, au milieu des voix de baryton, la plus ronde, la plus belle, et manifestement très en forme pour cet enregistrement — quel dommage qu’il ne chante pas davantage ! (Il prend le rôle de Sacha Guitry lui-même qui, en fait, ne chantait pas du tout.) Jérome Billy (baryton ? ténor ? on ne sait pas bien…) se retrouve souvent dans la musique considérée comme « légère » (on l’a entendu, par exemple, chez Offenbach), et endosse ici ce qui devrait être le principal rôle masculin, celui qui prend l’avantage sur les autres ; la diction est excellente, mais la voix manque de charme, et le chanteur peine à véritablement s’imposer comme favori. Quant à Dominique Coté, sa voix est bien timbrée et il excelle au ton dramatique de son entrée, ce « ne touchez pas à ce bouton » répété tout au long des premières scènes — bref, il parvient à caractériser son personnage.

La direction de Samuel Jean fait honneur à la partition, en souligne les beautés — en particulier celles de l’orchestration — sans jamais sombrer dans l’outrecuidance ou l’épidictique. Et justement, l’Orchestre Régional Avignon-Provence s’avère ici excellent, sachant varier les couleurs, faire sautiller le rythme sans jamais manquer de précision ni paraître vulgaire.

On ressort de l’écoute de cette S.A.D.M.P. avec une certaine bonne humeur, et une furieuse envie : retrouver une aussi bonne équipe pour le prochain volume de la collection. Vite, la suite !

INFORMATIONS

Louis Beydts : La S.A.D.M.P.

Isabelle Druet, Elle
Jérome Billy, Henri Morin
Mathias Vidal, le gros commerçant
Dominique Coté, le grand industriel
Thomas Dolié, le Baron

Orchestre Régional Avignon-Provence
Samuel Jean, dir.

1 CD, Klarthe, 2017.

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