C’est (presque) la lyre du Dieu du jour…

par Wissâm Feuillet · publié lundi 29 mai 2017 · ¶¶¶¶

L’on pourrait croire que le xviiie siècle français, dans le goût du raffinement que l’on peut lui connaître, s’est exclusivement attaché à des instruments « nobles », tels que le clavecin, la flûte traversière, le violon, le pardessus de viole… Mais depuis la Régence de Philippe d’Orléans, que l’on connaît pour sa fantaisie et sa débauche, l’on se fascine aussi pour la musique des rues (le violon peut y renvoyer, d’ailleurs) et des campagnes, pour les chasses, pour les bergeries qu’on idéalise : les instruments champêtres sont à l’honneur, et en particulier les musettes et les vielles, instruments des mendiants et des bergers par excellence dans l’imaginaire collectif. On compte nombre de témoignages qui attestent de leur usage à la cour, où ils sont extrêmement prisés. L’on transcrit même pour eux des airs de Rameau et des grands motets de Boismortier…

Tobie Miller, jeune vielliste extrêmement talentueuse, à la tête de l’Ensemble Danguy (qui emprunte son nom à un illustre vielliste du xviiie siècle), a choisi de mettre à l’honneur des pages jamais enregistrées, où la vielle brille de mille feux, écrites par les grands virtuoses de l’époque : Christophe Le Menu de Saint-Philibert, Jean-Baptiste Dupuits, Monsieur Ravet et Charles Bâton. L’on a même droit à une charmante « Furstemberg » de Corrette. Le programme se compose de deux cantates avec vielle obligée, de duos pour vielle et instrument de dessus et de sonates pour vielle et basse continue. Voilà qui est inattendu et pourtant délicieux ! Que la vielle sorte de la musique traditionnelle et populaire pour s’immiscer dans des cantates semble complètement extravagant… Et cela fonctionne admirablement, d’autant plus quand le livret de la cantate est une ode à la vielle ; tel est le cas de la cantate La Vièle de Christophe Le Menu de Saint-Philibert, où une adroite mise en abyme est pratiquée : le texte célèbre la vielle et son grand virtuose, Danguy, dont l’instrument se trouve mis à égalité avec avec « la lyre du dieu du jour ».

C’est peut-être un peu surévaluer l’instrument : là est l’ironie de Saint-Philibert, virtuose de la vielle, qui a conscience du charme de son instrument, mais qui, par un excès de flatterie, montre qu’il n’est pas dupe de ses origines paysannes. Il est d’ailleurs dommage qu’un texte si amusant ne sonne pas mieux : la soprano Monika Mauch a la voix fort belle, manie fort bien les agréments subtils, mais rend le texte parfois difficile à comprendre, peut-être un peu égarée par une prononciation trop affectée pour un tel répertoire (trop « greenienne »). Dommage aussi que la partie de violon soit traitée en pizzicati et non à l’archet : elle ne ressort que trop peu, et l’on oublie parfois que la « simphonie » comporte deux dessus.

La suite du programme est tout aussi enthousiasmante, et l’on en retient surtout les pièces de caractère et la sonate de Dupuits ainsi que la sonate de Ravet, jouées par Tobie Miller avec un sens de la nuance, une galanterie et une virtuosité très impressives. Il ne que de la voir jouer le prélude de l’œuvre V de Dupuits pour se rendre compte que virtuosité élégante et vielle à roue ne s’opposent pas. Au contraire, le jeu de la vielliste est d’une propreté peu commune : elle parvient à rendre extrêmement discret le bourdon de l’instrument qui, à la longue, pourrait être désagréable. Notons aussi l’extrême tendresse de son jeu dans les mouvements lents (la sarabande en rondeau de Dupuits, par exemple). Le continuo est fin, réalisé avec la douceur adéquate, franc et net quand il le faut, mais on n’y entend que trop peu le théorbe, résolument discret. Les deux musettes pour clavecin (de Daquin et Rameau) qui servent d’interludes ont le mérite de montrer que les instruments champêtres ont influencé jusqu’à la musique pour clavier, mais n’ont rien d’absolument nécessaire parmi les pépites qui sont présentées sur ce disque.

Nous ne dirons pas avec plus de maladresse ce qui peut tenir en quelques mots : il s’agit d’un vrai coup de cœur, à la fois pour cette musique rare et pour son interprétation colorée, lumineuse et soignée. Ce disque met en joie, et on en redemande : vive la vielle !

Extraits

Saint-Philibert, La Vielle, cantatille, « Air lent »

Dupuits, Sonate VI, « Allegro en Rondeau »

INFORMATIONS

La Belle Vielleuse

Œuvres de Christophe Le Menu de Saint-Philibert, Jean-Baptiste Dupuits, M. Ravet, Charles Bâton et Michel Corrette.

Ensemble Danguy
Monika Mauch, soprano
Tobie Miller, vielle baroque et direction
Ellie Nimeroski, violon
Caroline Ritchie, viole de gambe et violoncelle
Marc Meisel, clavecin
Esteban La Rotta, théorbe

1 CD, 76’17, Ricercar (Outhere), 2017.

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