La Tombelle loin de la tombe

par Loïc Chahine · publié mercredi 24 mai 2017 · ¶¶¶

Fernand de la Tombelle, baron de son état, est une de ces figures qui semblent sortis de romans. Compositeurs, certes, organiste, on le sait, co-fondateur de la Schola Cantorum et professeur d’harmonie en ses murs, mais encore sculpteur et astronome, il faut ajouter au roman que son père mourut assassiné par deux voleurs qui n’hésitèrent pas, pour commettre leur méfait, à utiliser une hache — scène en elle-même assez étonnante que celle de cambrioleurs qui s’encombrent d’une hache pour se débarrasser des gêneurs. Sa mère, quant à elle, fut élève de Liszt ; quant à Fernand de la Tombelle lui-même, il fut l’élève d’Alexandre Guilmant et de Théodore Dubois.

Lui-même auteur de quelques œuvres littéraires — et culinaire, on connaît son opuscule Les Pâtés de Périgueux —, il était tout naturel que le baron de la Tombelle se tournât vers la mélodie, fort en vogue en son temps, genre, au reste, d’une sociabilité qu’il maîtrisait bien — il tenait lui-même salon tantôt en son hôtel de la rue Newton, tantôt en son château périgourdin de Fayrac, où il pouvait recevoir certains de ses amis chanteurs. Et il était tout naturel, pour le Palazzetto Bru Zane, de confier à Tassis Christoyannis la résurrection de ces mélodies, puisque le baryton a déjà redonné vie à celles de Benjamin Godard ou de Félicien David (pour ne citer que les moins connus).

On retrouve donc avec plaisir le timbre chaleureux et altier du plus francophile des barytons grecs, son articulation impeccable, le soin amoureux qu’il porte au texte. Les mélodies de La Tombelle étant assez variées et allant volontiers de l’intimité attendue (« Les Papillons ») à des moments nettement plus déclamatoires, voire opératiques (« La Croix de bois », « Cavalier mongol » — non sans échapper parfois à une certaine grandiloquence, comme dans « Ha ! les bœufs »), Tassis Christoyannis a l’occasion de montrer toute l’étendue de son savoir-faire en terme de variations du timbre : à l’intérieur même d’une mélodie, modelant les phrases autant que la progression du poème chanté, il donne tantôt la plénitude impérieuse de sa voix puissante, tantôt le velours le plus caressant du piano ou mezzo-piano… Si la tonalité de l’ensemble est plutôt sérieuse et dramatique, quelques pièces légères ont su trouver leur place, et l’auditeur a droit à un peu de galanterie presque facétieuse avec « Sans toi » ou « Si le roi m’avait donné », dont Tassis Christoyannis souligne la teinte à peine humoristique. Comme souvent, c’est une leçon de ce que l’on peut faire avec le chant que livre ici M. Christoyannis.

Le pianiste Jeff Cohen se glisse dans les pas du baryton et s’en tire honorablement, sans toutefois se faire véritablement remarquer, ce qui est un peu dommage : aux côtés d’un chanteur aussi magistral, on voudrait un pianiste qui ne le soit pas moins.

On écoutera donc avec intérêt et plaisir ce nouvel opus de mélodies, en se demandant déjà, avec gourmandise et curiosité, vers qui se tournera le prochain.

INFORMATIONS

Fernand de la Tombelle : Mélodies

Tassis Christoyannis, baryton
Jeff Cohen, piano

1 CD, Aparté, avec le soutien du Palazzetto Bru Zane, 2017.

D’AUTRES ARTICLES

Visée aux vents. Robert de Visée, La Musique de la Chambre du Roy • Manuel Strapoli et al..

Tourments, mais encore ?. Anima Sacra

Jakub.

Un autre Faust. Gounod : Faust • Les Talens lyriques, Christophe Rousset.

Mafalde corte con Zucchine e Gamberetti

On dit toujours force mal des réseaux sociaux, mais sans…