D’un coup d’archet prophétique

par Wissâm Feuillet · publié mercredi 26 avril 2017 ·

L’on connaît bien les sonates pour pianoforte et violon de Beethoven, souvent jouées en concert et enregistrées. Qui n’a pas la mélodie initiale de la sonate dite « Le Printemps » en tête ?... L’on fréquente peut-être moins les sonates pour pianoforte et violoncelle, au nombre de cinq, nettement moins jouées, mais qui ont pourtant un avantage musicologique considérable, que n’ont pas celles avec violon : elles couvrent trois grandes « périodes » de Beethoven, comme les concertos pour pianoforte et les symphonies, les premières datant de 1796, et la dernière de 1817. Les sonates avec violon, quant à elles, ont été composées durant les deux premières périodes de Beethoven, entre 1796 et 1812. Mais par-dessus tout, les sonates pour pianoforte et violoncelle ont quelque chose d’unique, qui a de quoi faire d’elles des œuvres majeures : bien que composées en 1796, les deux premières sonates, écrites par un Beethoven âgé de vingt-six ans, encore dans sa « période classique », font déjà montre d’une originalité surprenante. Instruments poussés dans leurs retranchements techniques, énergie débordante, thèmes mélodiques et accompagnements résolument tournés vers le xixe siècle…

Le plus souvent enregistrés sur instruments modernes, ces sonates sont également assez bien servies sur instruments anciens : Anner Bylsma et Jos van Immerseel, Steven Isserlis et Robert Levin, Hidemi Suzuki et Yoshiko Kojima… Deux instrumentistes polonais, Jaroslaw Thiel et Katarzyna Drogosz, remettent le couvert et se lancent dans l’aventure des deux premières sonates. Et ils ont manifestement quelque chose à dire dans cette musique.

Le choix des instruments, d’abord, n’avait jamais été si pertinent, notamment s’agissant du pianoforte : alors que les interprètes ont souvent tendance à adopter des instruments trop tardifs, Katarzyna Drogosz joue un instrument anonyme de 1780, d’après Stein, auquel se mêle admirablement un violoncelle copié d’après le « Servais » de Stradivarius. Pour des sonates, c’est idéal. À ce niveau, l’on pourrait même parler d’alchimie : dès les premières notes de l’Adagio sostenuto de la sonate no 1, l’unisson solennel des deux instruments annonce la couleur, d’une franchise et d’une netteté revigorantes, que l’on retrouve dans l’Allegro déchaîné, orageux, de la deuxième sonate. L’écoute n’est gênée par aucun écueil, car une exigence extrême, d’un bout à l’autre, guide l’interprétation.

« Deux grandes sonates pour le Clavecin ou Piano-Forte avec un Violoncelle obligé », voilà ce qu’indique la page de titre de l’édition originale. Cependant, à l’écoute du présent enregistrement, l’impression est différente : l’on se demande lequel des deux instruments accompagne l’autre. Le violoncelle n’est pas laissé pour compte : il se fait prolongement du pianoforte. C’est là que l’alchimie fonctionne parfaitement : l’accompagnant et l’accompagné se relaient, se soutiennent, mais jamais ne s’affrontent. L’un et l’autre œuvrent en visant l’explosion, l’intensité et le lyrisme tourmenté. Souvent, le violoncelle semble aérien, en suspens au-dessus du tapis déployé par le pianoforte, clair, incisif, mais jamais aigre.

Toutes les audaces sont parfaitement lisibles : bariolages vertigineux du violoncelle qui accompagnent un trait du pianoforte, alternance d’archet et de pizzicati… Cette énergie, jamais forcée, est purement jubilatoire et redonne à ces sonates un supplément d’intérêt. Jouées dans les conditions de leur première exécution, elles sont comme rajeunies, revitalisées. L’on se plaît même à penser que Beethoven et Jean-Pierre Duport, en 1797, on pu les jouer ainsi. Le coup d’archet est presque prophétique, annonçant déjà les trois dernières sonates, et celles à venir de Ries, de Mendelssohn ou de Groß. Bref, ces deux sonates nous emportent par la profonde vivacité de leurs amples mouvements initiaux et nous réjouissent par la malice de leurs rondos aux allures pastorales : le pari est réussi. La prestation s’achève légèrement avec des Variations sur un thème de Haendel, moins palpitantes que les deux sonates, mais tout à fait charmantes. Dans ces conditions, l’on est en droit d’attendre un volume 2 qui ferait entendre les trois dernières sonates, celles de la maturité, jouées sur un pianoforte différent, sans doute, mais avec la même fougue et la même joie communicative.

Extrait

Sonate en fa majeur, op. 5 no. 1: I. Adagio sostenuto - Allegro

INFORMATIONS

Beethoven : Sonates pour pianoforte et violoncelle n°1 et 2

Jaroslaw Thiel, violoncelle
Katarzyna Drogosz, pianoforte

1 CD, 58’17, CD Accord, 2017.

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