par Wissâm Feuillet · publié lundi 31 octobre 2016 · ¶¶¶¶
Jean-Marc Andrieu fait partie de ces chefs découvreurs qui ont l’habitude d’enregistrer des inédits ou quasi inédits qui se révèlent parfois être des joyaux du répertoire baroque. Tel fut le cas du Requiem de Jean Gilles, qui compte maintenant, grâce à l’interprétation des Passions, parmi les chefs-d’œuvre de la musique sacrée du xviiie siècle. Le chef, ses musiciens, le chœur de chambre Les Éléments et des solistes de choix réitèrent l’expérience autour d’un compositeur et d’un programme plutôt méconnus : des grands motets d’Antoine-Esprit Blanchard. Si l’on pourrait reprocher à Jean-Marc Andrieu d’avoir des intérêts musicaux un peu « régionalistes », du fait qu’il aime à se pencher sur des compositeurs baroques méridionaux, nous ne lui en ferons pas grief, car cela n’est jamais au détriment de la qualité musicale des œuvres : ce Blanchard est tout sauf un médiocre compositeur de fade musique sacrée.
Prêtre et maître de chapelle comme Brossard ou Madin, Blanchard écrit des grands motets pour solistes, chœur et orchestre dans la plus pure tradition française. Cette tradition française du grand motet — genre alors particulièrement apprécié — a valu à Blanchard d’être joué et applaudi au Concert Spirituel, au même titre que, par exemple, Mondonville ou Boismortier. C’est à trois de ces motets que Les Passions rendent justice… avec passion ! Sur ces trois motets, deux sont inédits : le Magnificat et le De Profundis — In exitu Israel avait déjà été enregistré une fois il y a une dizaine d’années.
La musique de Blanchard a tout pour plaire : colorée, contrastée, son écriture tient compte de la plus belle façon de l’effectif pour lequel il écrit. Rien n’est laissé en retrait, et l’ensemble fait preuve d’un subtil équilibre : les parties d’orchestre — qui sont peut-être les moins probantes musicalement — constituent un liant tout à fait bien pensé et très justement joué ; les chœurs à cinq voix sont généreux et pleins d’une sorte de dignité glorieuse ; enfin, les solos, duos et trios vocaux sont peut-être ce que ces œuvres ont de plus charmant, de plus judicieusement composé. En cela, ces grands motets de Blanchard ne sont pas sans faire penser à ceux de son homologue Mondonville, dont l’écriture se caractérise par une attention particulière aux voix solistes.
Les musiciens des Passions et du chœur Les Éléments excellent à interpréter avec un même investissement les trois dimensions de ces œuvres : l’orchestre est fin et enrobant, proposant notamment de très belles parties de hautbois et de basson ; les chœurs sont d’une redoutable précision jusque dans les passages difficiles et chargés ; et les solos sont assurés brillamment. Les voix d’hommes (haute-contre et basse-taille et particulier) sont saisissantes de puissance, de rondeur et de maîtrise : François-Nicolas Geslot et Alain Buet, agiles et souples dans leurs registres, font merveille dans tous les passages qui leur sont confiés. Les lecteurs pourront s’en faire une idée en écoutant le « Simulacra gentium » du motet In exitu Israel, qui exploite toute la tessiture de la voix de haute-contre avec des traits quasi opératiques d’une élégance indéniable.
On ressort de l’écoute charmé, réjoui d’avoir découvert un nom qui est honoré par l’interprétation proposée : l’énergie et la finesse conjuguées rendent justice à ces motets oubliés, et, Blanchard ayant laissé derrière lui une quarantaine de grands motets, l’on peut assurément attendre un deuxième opus.
In exitu Israel, Chœur, tremblement de terre, A facie Domini
In exitu Israel, Haute-contre, Simulacra gentium
INFORMATIONS
Les Passions
Chœur de chambre Les Éléments
Jean-Marc Andrieu, dir.
1 CD, 77’, Ligia, 2016.
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