par Loïc Chahine · publié vendredi 3 juin 2016
Le Moine et le Hasard : voilà un titre qui avait de quoi intriguer, attirer le lecteur. Sous cette désignation, c’est en fait le facsimilé d’un manuscrit du xiiie siècle, rédigé par Matthieu Paris (v. 1200–1259), qui est proposé au lecteur, le « MS Ashmole 304 » de la Bodleian Library. Le moine, c’est donc ce Matthieu Paris, polygraphe et illustrateur de talent, auteur d’une Historia Anglorum et d’une Vie de seint Thomas de Cantorbéry. Mais le hasard ? Il renvoie tout simplement au sujet du manuscrit proposé : la divination. Une moine, de la divination ? C’est qu’il s’agit, d’après l’auteur, de connaître l’ennemi : « Que soient raillées les souricières du Diable et, une fois démasquées, qu’on les évite ! » Voilà une bonne excuse pour s’y intéresser.
Matthieu Paris commence ainsi par indiquer qu’il
considère ces choses certes comme bagatelles, mais subtiles. Je ne crois pas complètement vain d’en avoir quelque idée, pourvu que l’on s’en joue et qu’on n’y attache pas crédit.
De fait, le manuscrit, « malgré son caractère hautement spécialisé, a apparemment connu une certaine diffusion » (p. 19), sans doute justement parce qu’il pouvait s’agir, pour les consultants, ou au moins pour certains d’entre eux, d’une sorte de jeu.
L’intérêt du manuscrit tient plus particulièrement dans les illustrations, car le genre divinatoire est, comme le note Allegra Iafrate, « Un genre sans tradition illustrative » au Moyen Âge : c’est surtout à la Renaissance, en effet, que l’on rencontre davantage de livres de sortes (sorts) illustrés, « particulièrement à la cour des seigneurs où des cercles de gentilshommes y trouvent un passe-temps équivalent aux jeux de société » (p. 77).
Outre l’agrément de l’objet lui-même, car le manuscrit est tout à fait joli à regarder, abondamment illustré sur certaines pages, et assez lisible pour qui a l’habitude d’un peu de paléographie médiévale, on appréciera la vaste introduction d’Allegra Iafrate, qui présente l’auteur, bien sûr, les enjeux du manuscrit, mais aussi les techniques divinatoires et le fonctionnement du manuscrit : « Imaginons-nous un après-midi pluvieux à Saint-Albans ; un groupe de moine décide de consulter le manuscrit. Comment s’en servait-on en pratique ? » (p. 53)— On vous prévient, ça n’est pas simple !
On regrettera cependant qu’une partie du manuscrit ne soit pas transcrite et traduite, ce qui aurait rendu l’ouvrage d’autant plus accessible.
Tel quel, Le Moine et le Hasard est donc un livre intéressant pour l’histoire, agréable pour l’œil, mais un peu frustrant. On le recommandera donc prioritairement aux spécialistes (professionnels ou amateurs), bien sûr, mais aussi aux collectionneurs.
INFORMATIONS
Classiques Garnier, 2016.
Texte présenté par Allegra Iafrate.
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