par Wissâm Feuillet · publié vendredi 16 novembre 2018
Il est de ces livres qui, lorsqu’on les reçoit, sont reposés sur la table aussi vite qu’on les a ouverts ; alors, le temps fait son œuvre et les enterre sous des piles plus alléchantes. Puis, par miracle, on revient à celui que l’on avait abandonné, découragé ou agacé. Tel est le sort de La veillée de l’hyène, court recueil de Maëlle Levacher, dont la première tentative de lecture s’était révélée particulièrement infructueuse : nous y sommes revenus, dans de meilleures dispositions peut-être, et cette petite somme poétique, ainsi que les silènes de Rabelais, s’est révélée, a déployé son potentiel poétique, musical, philosophique, et surtout comique.
Si l’on est découragé, en premier lieu, à l’abord de l’œuvre, c’est que l’on est tenté d’en faire une lecture de « khâgneux » : l’on s’interroge sur sa construction, sur ses caractéristiques génériques, sur les références – assumées ou déguisées – qu’elle mobilise, sur son potentiel parodique, sur la multiplicité de ses sens possibles… Bref, l’on s’arrache un peu les cheveux. Il y a, dans La veillée de l’hyène, quelque chose des Fables de La Fontaine, du vaudeville, des dialogues philosophiques du xviiie siècle, des dialogues des morts à la Fontenelle… Quelque chose de Montaigne, peut-être. Mais quand on a pointé cela, l’on n’a rien dit, ou pas grand-chose. La relecture « vierge » est plus vivante. Une hyène, sorte d’allégorie de la mort dévoreuse, de la mort absolue, erre seule en un désert aux allures de Tartare ; elle veille. Dans quasiment chaque pièce du recueil, un visiteur se présente à elle : un homme d’abord, puis un cheval, puis Cerbère lui-même, puis un matérialiste (Diderot ? Sade ?) et d’autres encore. Chaque rencontre est l’occasion pour la bête de faire démonstration de son cynisme : en bon chien du désert, elle apostrophe, raille, moque, et surtout dévore ce que la mort jette sur son passage. La médiocrité du règne humain et animal défile devant elle qui a réponse à tout : rien de ce qui est ne subsiste après son passage. Allégorie de la mort, écrivions-nous, mais c’est plus que cela : allégorie du néant post mortem. Plus matérialiste que le matérialiste lui-même, la bête donne tort à Lavoisier : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. » Son mot d’ordre revient plutôt à dire « Rien, rien, rien ne doit subsister […]. » (p. 16). Alors, toi qui te présentes au seuil du livre, abandonne tout espoir : l’au-delà s’annonce sans concession.
Mais c’est l’humour grinçant de Maëlle Levacher que l’on retient surtout, humour qui peut prendre la forme d’un Pater noster parodique (pp. 36-37) ou qui fait du pauvre Jean-Jacques (Rousseau) un personnage à part entière, ridicule en sa vie comme en sa mort, dont on peut d’ailleurs lire l’épitaphe (p. 12) :
VANITÉ D’UNE STÈLE
Ci-gît Jean-Jacques,
au soulagement des fauves qui le persécutèrent
comme des hommes qui le plaignirent.
L’HYÈNE – Ci-gît je ne sais quoi de tous ceux qu’on vient de dire, qui se fondent ensemble, pour former la chose indistincte qui n’a plus de nom dans aucune langue. J’ajoute bientôt après : Ci ne gît plus rien, j’ai passé par là.
Ce pauvre Jean-Jacques, on croit le retrouver dans la pièce intitulée « Pyjama » (pp.27-28), derrière les mots de l’enfant qui dialogue avec l’hyène et lui confie : « Quand j’étais en vie, […] j’avouais toujours tout, je disais toutes les choses mal des autres aussi. Moi je ne peux pas ne pas parler. Je dis tout. Ma famille me hait, peut-être qu’elle m’a tué. […] Quand j’étais tout seul le soir dans mon lit, je pensais à toutes mes fautes, j’en faisais l’inventaire, c’était enivrant et affreux. » Souvenirs d’un vol de ruban ou de pommes, peut-être, d’une fessée ou d’une marmite compissée…
La création poétique contemporaine est vivante, cet opuscule en donne la preuve, et c’est peut-être dans l’hétérogénéité générique, dans la variété et le réinvestissement d’anciennes formes que la poésie est amenée à se renouveler véritablement.
INFORMATIONS
Cardère, 2017.
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