par Loïc Chahine · publié vendredi 7 juillet 2017
C’est un lieu commun de dire que l’univers de la danse classique en général, de du Ballet de l’Opéra de Paris en particulier, est l’objet de fantasmes dans l’univers collectifs ; comme le relève Joël Laillier dans Entrer dans la danse, fictions et documentaires, en particulier audiovisuels, entretiennent cette représentation idéalisée d’institutions prestigieuses et élitistes, mais aussi d’hommes et de femmes se vouant corps et âme à leur art.
Sociologue, Joël Laillier nous invite pourtant à regarder derrière cette représentation. Le sous-titre de l’ouvrage l’indique assez : « L’envers du Ballet de l’Opéra de Paris ». Ce n’est pas que cet envers soit inaccessible : on peut bien savoir que tous ceux qui entrent à l’école n’entreront pas dans le ballet ensuite, que tous ceux qui commencent quadrille ne finissent pas premiers danseurs ou étoiles, on l’oublie ; justement, cet ouvrage, c’est ne pas oublier. L’exemple de l’étude de la souffrance est tout à fait représentatif de cette démarche : là où le grand public ne voit que sublimation, souffrance acceptée pour le dépassement de soi, les témoignages rappellent opportunément que c’est tout de même de la souffrance et de l’ascèse, et que les considérer positivement ne va pas forcément de soi.
Joël Laillier s’appuie sur de nombreux témoignages (d’élèves, de parents, de danseurs, de professeurs, d’anciens danseurs) pour retracer les principales étapes de la formation et de la carrière de la plupart des danseurs : depuis l’entrée à l’École de danse de l’Opéra de Paris jusqu’aux conditions d’évolution dans le Ballet, tout est évoqué. Comment un enfant finit-il par envisager d’entrer à l’Opéra ? Et ses parents ? Qu’est-ce que cela implique ? Toutes ces questions, Joël Laillier y apporte des réponse. Une grande partie de l’ouvrage est consacrée aux élèves (quatre chapitres sur sept, plus un consacré aux parents)
Dans le même temps, il interroge le concept de vocation, et, plus précisément, la construction de la vocation — construction sociale, on s’en doute. L’auteur nous éclaire sur l’origine sociale des élèves de l’École, bien différentes de celles, par exemple, des sportifs, sur leurs chances d’entrer au Ballet, de « monter » dans la hiérarchie, statistiques à l’appui… Il ne s’agit pas de dire comment on devient danseur, mais comment on veut le devenir, comment on en vient à le souhaiter, et comment, si l’on parvient jusqu’au Ballet, on y reste, malgré les difficultés. En plus de la vocation strictement artistique, Joël Laillier met en avant le rôle très important de l’institution : pour bien des élèves, il ne s’agit pas seulement de devenir danseur, mais d’entrer à l’Opéra. Et que se passe-t-il une fois qu’ils y sont ? Qu’advient-il — question que l’on peut souvent se poser — de ceux qui ne « montent » pas premiers danseurs ou étoiles ?
Si la lecture est agréable (tout au plus regrettera-t-on des conclusions de chapitres peut-être un peu redondantes pour qui a lu attentivement), l’étude n’en manque pas pour autant de sérieux. On apprécie autant de lire les extraits d’entretien que les analyses qui en sont faites, ainsi que les chiffres qui, eux aussi, témoignent sans tabou, sans pour autant avoir rien de racoleur.
Les amateurs de danses pourront s’amuser à essayer de deviner qui se cache derrière certains prénoms d’emprunt, certains témoignages étant suffisamment précis pour se livrer à un petit jeu de piste.
Antidote à une vision idéalisée, édulcorée et béate de l’artiste, Entrer dans la danse est un ouvrage que tout aspirant danseur, mais aussi tout passionné de danse devrait lire, tant il est éclairant sur la vie et même la psycho-sociologie de la carrière de danseur « d’élite ». De manière plus générale, cette réflexion sur la vocation, illustrée par un exemple extrême, peut éclairer chacun dans son regard et dans ses choix.
INFORMATIONS
CNRS Éditions, 2017.
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