Quand Gourmont professe la stylistique

par Wissâm Feuillet · publié mardi 8 novembre 2016

Il y a en France, depuis le Moyen Âge, une véritable tradition de ce qu’on pourrait appeler aujourd’hui les traités de stylistique : on a écrit, dès le viie siècle, des arts poétiques en latin, et la Renaissance fut, encore davantage peut-être, une période de réflexion sur la langue, l’usage des mots, la manière de faire des vers, ce dont témoigne le très utile volume des Traités de poétique et de rhétorique de la Renaissance (Le Livre de Poche). La tradition se poursuit avec le célèbre Traité des tropes de Du Marsais, le non moins célèbre de Fontanier… Mais qui se souvenait des essais de Remy de Gourmont consacrés à des questions de style ?

L’on connaît peut-être davantage Remy de Gourmont pour son fameux Livre des masques, ou encore pour quelques poèmes et nouvelles. Mais peu le savent stylisticien. Ce sont ces essais d’histoire de la langue, de stylistique et de poétique qu’a édités Emmanuelle Kaës pour les Classiques Garnier. Maître de conférences en grammaire et stylistique françaises à l’Université François Rabelais de Tours, l’éditrice domine bien son sujet. Dans une introduction sans esbroufe, pas trop longue et facilement abordable, elle situe chacun des essais de Gourmont dans son contexte intellectuel, ne manquant pas de pointer du doigt le fond idéologique de certains d’entre eux. Une idéologie que d’aucuns aujourd’hui nommeraient aisément « réactionnaire ». Remy de Gourmont a, en effet, un positionnement absolument prescriptiviste sur la langue : « Esthétique de la langue française, cela veut dire : examen des conditions dans lesquelles la langue française doit évoluer pour maintenir sa beauté, c’est-à-dire sa pureté originelle. »

Ce regard « archaïsant » est doublé d’un fantasme des origines du français qui nous semble, aujourd’hui, en tant que linguistes et littéraires, véritablement absurde, mais qui n’est pas sans charme, le charme d’un ardent défenseur de la « beauté » de sa langue. Cependant, certaines prises de position semblent aller dans le sens contraire par leur étrange modernité (modernité qui n’est pas sans rappeler une certaine réforme de l’orthographe récemment remise sur le tapis) : « Il faut supprimer : toutes les lettres qui ne se prononcent pas ; toutes celles qui aspirent inutilement la consonne qu’elles précèdent ; il faut aussi remplacer les ph par des f, les y par des i et écrire par qu les k et les ch durs. »

Nous recommandons donc chaudement l’ouvrage à ceux que l’histoire de la stylistique intéresserait, qui chercheraient à saisir l’évolution des partis pris des stylisticiens : nous trouvons en Gourmont un exemple original qui serait, aujourd’hui, à la fois du camp des académiciens et de celui des partisans de la réforme.

D’autres essais complètent le volume, dont deux sont d’un intérêt majeur pour qui voudrait se pencher sur la poésie de la fin du xixe siècle : un essai consacré au vers libre, l’autre au vers populaire, qui comptent bon nombre de commentaires très fins des poèmes de Vielé-Griffin, de Kahn, et d’heureuses remarques sur les chansons populaires. Des notes minimalistes, efficaces et denses à l’image de l’introduction, guident agréablement la lecture : qui voudra s’en passer s’en passera ; quant aux lecteurs « spécialistes », ils s’y reporteront sans le dégoût que provoquent parfois des notes de bas de page trop fournies et verbeuses.

INFORMATIONS

Remy de Gourmont, Esthétique de la langue française & autres essais

Classiques Garnier, 2016.

Consulter la page du livre sur le site de l’éditeur.

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