par Loïc Chahine · publié samedi 5 novembre 2016
Durant l’été 2014, l’éminent médiéviste Michel Zink livra sur France Inter une série de quarante chroniques de trois minutes. Bienvenue au Moyen Âge est la version écrite de ces chroniques. Bienvenue au Moyen Âge n’est pas à un livre de vulgarisation sur l’histoire du Moyen Âge, tordant le cou à divers préjugés, un de ces livres agaçants qui viennent vous expliquer à quel point on a tort d’appeler cette époque « Moyen Âge », d’utiliser des expressions comme « On n’est plus au Moyen Âge » et enfin vous montrer à quel point au xiie siècle c’était mieux qu’au xviie — non, Bienvenue au Moyen Âge n’est pas de ce genre : c’est par le prisme de la littérature que Michel Zink nous convie à découvrir son époque de prédilection. Mieux : la littérature n’est pas un prétexte, elle est tout. Le livre aurait pu s’appeler Bienvenue en littérature médiévale.
Comme le dit Michel Zink dans la dernière des quarante chroniques qui constituent l’ouvrage, c’est une invitation à lire les textes médiévaux. Cette préoccupation irrigue l’ensemble du livre, émaillé de nombreux extraits, principalement de textes en vers (chansons, poèmes, romans), toujours donnés en texte original et en traduction, de résumés pour des œuvres de grande envergure comme le Roman de la Rose. Et cela fonctionne : au fil des pages, on a envie d’en lire plus, d’en découvrir (ou redécouvrir) davantage.
Mieux, Michel Zink donne les clefs pour accéder à cette littérature. Pas des clefs historiques, mais des clefs esthétiques ; il rappelle ainsi la puissance subversive de la partie du Roman de la Rose signée Jean de Meung, « invitation constante à l’activité sexuelle », et en quoi cette « invitation » est « théologiquement orthodoxe » (ce sera page 147).
On a aussi plaisir à retrouver des figures bien connues, comme celle du roi Arthur — et tout amateur de Kaamelott s’amusera de lire sous la plume d’un savant ce qu’Alexandre Astier a exploité pour construire son personnage (page 81). Mais c’est fait sans insistance : point de ton professoral ici, seulement des informations livrées en toute simplicité ; le lecteur fait lui-même « la moitié du livre », la moitié du chemin en tout cas, en reliant ce qui lui est donné à ce qu’il connaît.
Michel Zink parvient aussi en quelques mots à donner une consistance au personnage, bien réel celui-là, de Chrétien de Troyes : « Chrétien prend toujours l’air entendu : le roi Arthur, vous le connaissez tous, inutile de vous raconter son histoire » (page 85). Avec une simple phrase, le médiéviste suggère admirablement la manière de Chrétien : la connivence avec le public, mêlée d’une légère pointe d’humour. Plus loin, il expose la structure de romans comme Érec et Énide et Le Chevalier au lion, où le mariage du héros avec son aimée n’est pas le but mais presque un point de départ (pages 89 à 95), et tout cela aide sans doute davantage à apprécier la lecture des romans de Chrétien que des pages et des pages (ou des heures et des heures) d’explications sur la symbolique de tel ou tel passage.
Le parcours est chronologique et assez complet : il part de la naissance du « français » et des autres langues vernaculaires, de la Séquence de sainte Eulalie, copiée en 881 ou 882, et va jusqu’à Charles d’Orléans et François Villon. Il s’attarde spécifiquement sur la poésie des troubadours, parmi les plus difficiles à aborder pour un lecteur contemporains, et passe plus rapidement sur la figure plus connue du poète « repris de justice » — mais ce qu’il en dit demeure lumineux. Il passe, on l’a dit, par les romanciers, surtout par Chrétien de Troyes, mais aussi par les historiens (Froissard et Joinville), par l’inévitable Chanson de Roland mais aussi par les chansons de femmes (ou ce qu’il en reste), par Marie de France et par Tristan et Iseut, par Rutebeuf… Bref, le panorama s’avère assez complet.
En respectant la structure originelle en « chroniques » assez brèves, le livre se lit facilement, car la fragmentation permet de le reprendre au moindre moment que l’on aura pour s’y plonger. Certes, on aurait aimé que çà et là, quelques marques renvoyant à la forme originelle (« hier je vous ai parlé de… ») ait été adaptées au format livre, mais peu importe : l’essentiel a été conservé, et l’essentiel, c’est la vivacité, l’enthousiasme communicatif.
Ajoutons, ce qui ne gâte rien, que l’ouvrage est tout à fait élégant : typographie agréable, mise en page sans heurts… Les passages en ancien français sont imprimés dans le même violet que celui de la couverture, ce qui apporte une note d’originalité tout à fait délicieuse, tout en permettant de les distinguer aisément.
Bienvenue au Moyen Âge est un petit livre essentiel ; il constitue une excellente introduction à la littérature médiévale, si ce n’est la meilleure : jamais, sans doute, on aura eu si grande envie de savoir l’ancien français qu’après avoir lu Michel Zink.
INFORMATIONS
Équateurs, 2015.
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