par Loïc Chahine · publié mardi 2 aout 2016
Voilà un livre qui aurait pu être moralisateur et apitoyant. Il n’en est rien. Et puis après retrace ce que furent le tsunami du 11 mars 2011 et la période qui l’a suivi en adoptant divers points de vue de ceux qui l’ont vécu, sur place, et non pas celui de la classe dirigeante ou de la communauté internationale — on devrait dire, sans doute, « les points de vue des victimes », mais justement, il n’y a pas ici de victimisation. Celui, d’abord, résolument original, d’un pêcheur, Yasuo, qui n’y est pas vraiment : quand il comprend que les premières secousses du tremblement de terre sont déjà trop violentes pour être anodines et qu’un tsunami se prépare, il suit une tradition ancestrale : aller vers le large, de sorte qu’il ne voit pas ce qui se passe sur terre de face mais de dos. Ce n’est qu’après coup qu’il découvre ce qui s’est passé, non sans y avoir été quelque peu préparé par la vue de décombres flottants qu’il croise sur le chemin du retour.
Et puis après s’attache bien évidemment à ce qui survient, comme le titre l’indique, après la catastrophe : que font ces gens qui n’ont plus de maison ? Ils sont hébergés, un peu comme chez nous, dans un gymnase. Kasumiko Murakami y suit la famille de Yasuo, ses quelques rencontres avec les « voisins », avec un parent venu en visite, avec un ami charpentier qui, lui, était sur terre au moment du tsunami — et voilà l’occasion pour l’auteur de donner un autre point de vue sur la catastrophe, le point de vue de celui qui cherche à s’échapper, qui de fait y parvient (puisqu’il est encore là pour raconter), mais qui a vu.
L’une des grandes forces d’Et puis après, c’est justement la série des points de vue, presque toujours internes : on voit toujours plus ou moins ce qui se passe par l’intermédiaire d’un personnage, sauf quand on voit Yasuo lui-même. Les plongées dans les pensées de ce dernier ne sont jamais envahissante : Yasuo est un homme plutôt taciturne.
L’autre grande force, c’est le style lui-même : sobre, concis, élégant. On goûte avec plaisir le surgissement, çà et là, de belles formules, de figures, de métaphores originales. La traduction d’Isabelle Sakaï participe bien sûr de l’agrément de la lecture en s’avérant parfaitement fluide, sans embûches. Quelques brèves notes de bas de page viennent éclairer des mots de vocabulaire spécifiquement japonais (noms d’algues ou de plats, fêtes).
Aussi surprenant que cela puisse paraître au vu du sujet grave, triste même, Et puis après n’est pas un livre déprimant car il se concentre sur l’humain. Bien sûr, il y a du découragement, de la folie même (une des voisines de Yasuo, au gymnase, a manifestement sombré, qui croit encore que sa fille, désormais adulte, est encore une enfant et la cherche : condensé d’une histoire, faisant quelques réapparitions, magistralement exploité par la romancière dans la construction du récit et de son sens : nous n’en révélons évidemment pas davantage), mais ces sentiments se mêlent aux autres, aux petits évènements du quotidien, fût-il chamboulé, et tout cela est peint — car décidément, les scènes font penser à de petites scènes peintes ou dessinées, pouvant peut-être rappeler certains Mangas d’Hokusai — par petits touches délicates, comme empreintes de pudeur.
Aussi surprenant que cela puisse paraître parce qu’il n’y a pas véritablement une intrigue comme on en trouverait une par exemple dans un roman policier, Et puis après se lit volontiers d’une traite, parce que ce petit « roman » est décidément plein de charme.
INFORMATIONS
Actes sud, 2016.
On pourra consulter la page du livre sur le site de l’éditeur.
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