par Loïc Chahine · publié lundi 27 juin 2016
La bibliographie sur Chostakovitch est assez inégale : elle demeure assez fragmentaire en français alors qu’elle est surabondante en anglais ; ainsi, on manque, dans notre langue, d’ouvrages proposant de véritables pistes d’analyses des œuvres et qui prennent en compte les découvertes les plus récentes. On a pu croire de prime abord que le petit livre de Frans C. Lemaire, spécialiste de la musique à l’époque soviétique, viendrait combler ce manque. Son titre, en effet, portait à le croire, et la quatrième de couverture le laisse aussi imaginer : « Chostakovitch a vécu longtemps dans cette dualité des promesses de l’idéologie dominante qu’il faut célébrer et des évidences que l’on doit taire. De là, ce double langage, avec sa part d’ironie, d’allusions, de secrets mêmes. » On attend dès lors que nous soient révélés ces secrets, ces allusions, les modalités de cette ironie.
En réalité, Dimitri Chostakovitch : les rébellions d’un compositeur soviétique est davantage une petite biographie intégrant, çà et là, des découvertes récentes rendues possibles grâce à l’ouverture d’archives ou à la communication de lettres privées. C’est ainsi que se trouve éclairé le Cinquième Quatuor qui contient « un message ne pouvant être compris que par une seule personne » (p. 63) puisque citant une œuvre de cette personne, Galina Outvolskaïa, qui n’avait pas été publiquement donnée à l’époque.
Malheureusement, de telles révélations sont rares, et souvent, Frans C. Lemaire passe bien rapidement sur les œuvres. Ainsi, il évoque le Huitième Quatuor et l’omniprésence dans celui-ci du motif dsch (ré, mi bémol, do, si bécarre, soit, en notation allemand, d, es, c, h), mais ne parle presque pas de la surabondance de citations des propres œuvres de Chostakovitch qui émaillent le quatuor d’un bout à l’autre. On ne peut que le regretter, car en entrant ainsi davantage dans les détails, on aurait peut-être eu là un livre qui aurait pu constituer une bonne introduction tant par sa forme, assez libre, entremêlant vie et œuvre sous la forme d’une sorte de promenade, que par son format, plutôt bref (environ 110 pages sans la bibliographie et l’index) ; en l’état, l’ouvrage demeure un peu trop superficiel.
Las ! c’est sans compter sur quelques autres défauts. D’abord, Frans C. Lemaire se répète souvent. On a ainsi à la lecture l’impression de ne pas vraiment avancer. Nous avons également relevé des inexactitudes assez grossières sur la passacaille (p. 92) :
La passacaille est constituée d’une suite de variations sur un même motif ostinato exposé préalablement à la basse, puis repris comme accompagnement [de] chacune des variations. Privilégiant le chromatisme et les tonalités mineures et sombres, elle convient particulièrement aux élégies et aux chants funèbres, son exemple le plus célèbre étant l’air de Didon dans le 3e acte de Didon et Énée de Purcell.
Manifestement, l’auteur mélange passacaille et ostinato : il ne suffit pas d’une basse obstinée pour faire une passacaille. Le motif obstiné est différent du motif varié (en fait, on pourrait plutôt définir la passacaille comme une série de variation non pas sur un thème mais sur une basse), et n’est finalement que rarement exposé seul à la basse au début de la pièce (même si c’est le cas dans une des plus célèbres passacailles, celle de Bach pour orgue en ut mineur, assez peu représentative du genre lui-même), il n’y a pas toujours du chromatisme, loin de là, et surtout, la mort de Didon chez Purcell n’est pas une passacaille, mais un air composé sur un ostinato, ou, comme on dit en anglais, a ground — et Purcell, on le sait, en est friand. Que la passacaille telles que l’ont perçue Chostakovitch ou Berg (dans Wozzeck) soit davantage influencée et conditionnée par ce qu’en a fait Bach dans la bwv 582 est une chose, mais n’autorise pas à écrire n’importe quelle généralité qui, dès lors, est fausse.
Ajoutons encore que Frans C. Lemaire, s’il ne goûte pas les médisance de Boulez (note 5 p. 101), n’est pas avare quant aux siennes propres, ne cessant de critiquer ce qui s’est écrit sur Chostakovitch. Qu’il dresse un panorama critique franc en début d’ouvrage est une chose très bienvenue, mais est-il besoin d’y revenir ultérieurement ?
En somme, ce petit ouvrage sur Chostakovitch aurait pu être une chose bien agréable, mais il semble, selon nous, qu’il manque son but (ou ses buts). Nous ne doutons pas du sérieux ni de la compétence de Frans C. Lemaire, mais nous nous reporterons plutôt à ses ouvrages plus volumineux, comme Le destin russe et la musique : un siècle d’histoire de la Révolution à nos jours (Fayard). Ce petite livre, quant à lui, n’est qu’un petit livre.
INFORMATIONS
Académie royale de Belgique, 2014.
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