par Loïc Chahine · publié lundi 5 février 2018
Raconter la vie de Jean-Baptiste Lully en quarante-cinq minutes (durée règlementaire des concerts à la Folle Journée de Nantes), c’est le pari d’Hugo Reyne — ou, plutôt que la raconter, en retracer les principales étapes, des débuts comme danseur aux côtés du jeune Louis XIV à la mort, en passant par l’époque des ballets de cour et des comédies-ballets, puis celle des opéras.
Il faut d’abord louer le choix des pièces, quasiment toutes des essentiels de la production de Lully : le Sommeil d’Atys, oui, le monologue d’Armide « Enfin, il est en ma puissance », la Marche pour la cérémonie turque du Bourgeois Gentilhomme, mais aussi des pièces qui ont recueilli un grand succès aux xviie et xviiie siècles, comme l’Entrée d’Apollon du Triomphe de l’Amour (1681) ou la « Pavane des Saisons », toutes deux au nombre des pièces dont Raoul-Auger Feuillet publia une chorégraphie notée, ou encore « Le Marié et la Mariée » des Noces de village, pièce connue plus tard sous le nom de « La Mariée de Roland » parce qu’elle avait été ajoutée à posteriori au quatrième acte de Roland ; signalons encore le Récit d’Orphée et d’une nymphe du Ballet des Muses, sorte de concerto qui voit dialoguer un violon solo avec l’orchestre — ce qui était une nouveauté en France — puis avec une voix. Hugo Reyne n’a pas oublié le premier ballet entièrement composé par Lully, L’Amour malade ; il n’a pas oublié la querelle entre la musique française et la musique italienne dans le Ballet de la Raillerie ; il n’a pas oublié, enfin, l’opéra que Lully laissa inachevé, Achille et Polyxène, terminé par Pascal Collasse, et dont la délicieuse passacaille clôt le programme, substituant, à la toute fin, au vers « Tout conspire aujourd’hui à finir votre ennui » cet autre, « Tout conspire aujourd’hui à célébrer Lully ». Bref : l’essentiel est là.
L’essentiel, c’est aussi l’idée d’un orchestre qui sonne. Difficile de l’évoquer avec neuf instrumentistes ? La Simphonie du Marais relève le défi avec brio et offre un son généreux, plus généreux même que d’autres ensembles en grand effectif. La pulsation de la danse est bien là, mais ne se transforme jamais en sècheresse, en « stress » même : si les appuis sont bien marqués, entraînant, les lignes restent souples.
Hugo Reyne aime à plaisanter et introduit les ballets et mascarades avec humour, rappelant que le temps du carnaval (dans lequel nous allons d’ailleurs entrer), qui était au xviie siècle le temps des ballets de cour, était carnavalesque, osant des effets comiques fantasques ; le chef communique aisément avec le public sans se répandre en paroles inutiles. Mieux : aux burlesqueries de L’Amour malade ou des Noces de village succèdent aisément des drames où le silence devient tension, que ce soit dans le Récit d’Orphée ou, plus encore, dans une Pompe funèbre d’Alceste d’anthologie.
Ceci, grâce aussi à l’excellente Élodie Fonnard. Timbre assez léger et plein de charme, belle articulation, mais surtout tempérament dramatique incandescent ; sa Femme affligée de ladite Pompe funèbre vous prend aux tripes, la violence de la tragédie de cette « mort barbare » devient bouleversante. Quelle intensité ! On ne peut se détacher de ce chant, de cette flamme dévorante. La soprano réussit également un très beau récit d’Armide. Mais le registre comique lui convient aussi, et elle incarne avec brio alternativement les deux rôles de la Musique Française et de la Musica Italiana dans le duo du Ballet de la Raillerie, changeant de place sur la scène pour distinguer les deux personnages. Quant au canon final, « Il faut mourir, pécheur », languissant ce qu’il faut, presque murmuré, articulé néanmoins, il fascine, et l’auditeur retient son souffle. On peinerait à trouver des défauts à Élodie Fonnard, qui, assurément, doit être l’une des grandes voix, mieux, l’une des grandes personnalités qui puisse défendre ce répertoire.
Et c’est assurément dans ce répertoire qu’Hugo Reyne et sa Simphonie du Marais sont les meilleurs, déployant un éventail de nuances et de possibilités expressives rarement atteint. À l’heure où bien des intégrales des opéras du « Florentin » fleurissent, plus ou moins réussies, c’est sans doute ce (trop) bref programme qui révèle le mieux le génie de Lully. Il est à souhaiter que la Simphonie du Marais puisse poursuivre une exploration entamée il y a un peu plus de trente ans et dans laquelle son expertise est plus que bienvenue : nécessaire.
INFORMATIONS
« Lully, un Florentin à Paris ». Concert donné le dimanche 4 février 2018 dans le cadre de la Folle Journée de Nantes.
Élodie Fonnard, soprano
La Simphonie du Marais
Hugo Reyne, récitant, flûte, hautbois et dir.
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