par Loïc Chahine · publié vendredi 6 octobre 2017
La France n’a guère traîné à s’emparer de la forme en trio à deux dessus et basse, et du vivant même de Corelli, en 1692, furent publiées les Pièces en trio de Marin Marais, qui sont encore des suites de danses, mais à trois voix au lieu des quatre ou cinq usuelles dans la musique orchestrale, ou des deux dans la musique pour un soliste et la basse continue. Bien moins connues, les sonates en trio d’Élisabeth Jacquet de la Guerre, claveciniste virtuose et compositrice de grand talent, datent des mêmes années — on les situe vers 1695, et prennent une allure très clairement italienne, avec une succession de « mouvement » souvent brefs et contrastés. C’est aussi dans ces années-là que François Couperin composa les « Sonades », comme il les appelait, qui étaient appelées à intégrer par la suite le recueil des Nations, publié en 1726, la première « Sonade » appelée « La Pucelle » devenant, par exemple, « La Française », prolongées chacune par des danses — synthèse, en somme, de la sonate italienne et de la suite à la française, telle que l’on pratiquée en Allemagne Buxtehude ou Reincken.
C’est dans ce répertoire qui marque la naissance et l’expansion du trio français que The Goldfinch a puisé l’intégralité d’un programme dont on ne peut que louer la cohérence et l’exigence. Car il faut bien dire que la musique de Jacquet de la Guerre n’est pas si aisée à défendre, elle porte toute la personnalité forte de son auteure, personnalité qu’il faut prendre le temps d’apprivoiser — ce qu’a manifestement fait l’ensemble, qui livre une exécution exemplaire de la sonate en sol mineur. Une musique très riche, variée, versatile, qui ne se répète pas (à l’exception du Presto final qui, à côté de ce qui l’a précédé, paraît manquer un peu d’inventivité). La musique de chambre de Couperin est tout aussi redoutable : il faut tout maîtriser sans avoir l’air de besogner.
De fait, The Goldfinch ensemble, qui a la formation des quatuors parisiens de Telemann — une flûte traversière, un violon, une basse de viole et un clavecin — trouve tout au long du programme un excellent équilibre entre les instruments, une cohésion sans faille, marquée en particulier par une belle complicité entre la flûte — au son rond et bien projeté, loin de ces traversistes qu’on n’entend pas — et le violon. La viole n’est pas en reste, et sait se faire entendre quand sa partie a quelque chose à dire, et en particulier quand elle s’émancipe du continuo. Quand au clavecin, on ne peut que louer une réalisation exemplaire, très efficace mais jamais ostentatoire.
En écoutant le Premier Ordre des Nations de Couperin, ouvert par la Sonade « La Française », on se dit qu’on aura rarement — voire jamais — aussi bien tout entendu, que peu d’ensembles peuvent se vanter d’avoir à ce point rendu justice au délicat foisonnement de l’écriture, exploitant à toutes les ressources de la partition. Allons plus loin : l’absence d’ « orchestration », la constance de l’effectif — beaucoup de versions allient deux flûtes et deux violons et deux hautbois et « instrumentent » — rend justice à la musique sans jamais la tirer vers la facilité. Le second dessus, confié au violon, et la basse de viole ne s’effacent pas, mais font sonner leur partie et donnent à la musique sa pleine saveur. Il faut dire que The Goldfinch Ensemble regorge d’idées, et que les intentions que les quatre musiciens ont mises dans la musique sont extrêmement bien réalisées, dans un juste équilibre, ne semblant pas dire au spectateur, « ah, ah ! regardez donc ce qu’on fait, comme on a plein de choses à dire, comme on en rajoute », mais plutôt « écoutez et goûtez ».
On l’aura compris, The Goldfinch Ensemble n’avait guère à pâlir d’avoir pour voisin — et prédécesseur dans cette même salle, il y a quelques années — l’excellent ensemble Les Surprises entendu la veille. Tous deux ont donné, à leur propre manière, bien différente, autant de plaisir. Espérons que The Goldfinch Ensemble continue sur cette belle lancée, et que la fin du concert ne soit qu’un « à suivre… »
INFORMATIONS
Concert donné le 1er octobre 2017 dans le cadre du festival d’Ambronay.
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