par Loïc Chahine · publié mardi 3 octobre 2017
On le sait bien, que Marc-Antoine Charpentier s’en alla quelques temps étudier en Italie — mais ce qui est frustrant, c’est qu’on ne sait presque rien de ce voyage en réalité. Il rapporta bien un peu de Carissimi — la Bibliothèque nationale de France conserve ainsi un manuscrit de Jephte copié de la main de Charpentier —, mais en fait on ne sait même pas à quelle date exactement il partit. Voilà qui est bien frustrant ! Dès lors, pas mal de chefs et d’ensembles se bornent soit à le mettre dans les mêmes programmes de Carissimi, soit à mâtiner leur jeu d’italianismes sous prétexte que « puisque Charpentier était allé en Italie, on peut jouer sa musique comme de la musique italienne » — argument spécieux.
Sébastien Daucé n’est pas de ceux-là. Il s’est demandé ce que diantre avait pu entendre en Italie un jeune homme de vingt-cinq ans qui y voyageait vers 1665, de sorte que ce programme « Charpentier et l’Italie » donne certes une place à certains compositeurs maintenant célèbres — nous pensons à Cavalli —, ou bien connus de quelques mélomanes attentifs — Merula et Legrenzi —, mais aussi à d’autres bien plus obscurs, comme Francesco Beretta (1640–1694), auteur, comme Charpentier plus tard, d’une Messe à quatre chœurs, ou encore Orazio Benevoli — deux compositeurs actifs à Rome au moment y Charpentier y fut.
Mais il n’y a pas que Rome, et Sébastien Daucé a imaginé le voyage de Charpentier Italie. Sans doute pût-il passer par Crémone (d’où Merula), par Bologne (représentée par Maurizio Cazzatti), par Faenza (Orazio Tarditi). Vit-il Venise ? Ce n’est guère sur le chemin de Rome, mais on ne s’en plaindra pas, car le Magnificat de Cavalli donné pour représenter cette ville est sans doute, avec l’envoûtant Sub tuum præsidium H. 28, pour trois voix a cappella, de Charpentier qui l’ouvrait, la pièce la plus intéressante de la première partie.
Car il faut bien le dire, il ne suffit pas d’être inconnu pour être intéressant, et la musique polychorale d’un Beretta, si bien écrite, si excellemment jouée soit-elle, n’est pas vraiment passionnante. L’écriture polychorale implique de fortes contraintes, en particulier en matière d’harmonie, et l’essentiel de l’intérêt, se trouvant probablement dans les réponses entre les différents chœurs, s’émousse assez vite. Aussi Sébastien Daucé a-t-il bien fait de se limiter à quelques mouvement de la Messe à quatre chœurs de Beretta.
La deuxième partie soutenait bien mieux l’intérêt, la musique de Legrenzi retenant mieux l’attention de l’auditeur — sans parler de celle de Charpentier, dont heureusement la rare Messe à quatre chœur, H. 4, centre, acmé de ce programme, était donnée en intégralité. Œuvre surprenante — on se demande en quelle occasion elle a pu être donnée — où le compositeur mêle habilement la polychoralité italienne à une écriture aux accents souvent bien français, mais avec cet Agnus Dei qui a l’air de commencer comme une ciaccona pour prendre ensuite d’autres chemins, puis se répéter… Un Agnus joyeux, ce n’est pas si courant — alors qu’au fond, l’idée que l’homme soit lavé de ses péchés par le divin sacrifice n’est pas profondément pessimiste.
Charpentier a utilisé avec habileté les ressources de la polychoralité comme plus tard le grand motet versaillais utilisera une alternance de chœurs et de « récits » (de solos) : tantôt on a les quatre chœur, tantôt un seul, parfois deux qui se répondent (comme dans le fameux Agnus Dei), parfois même, comme dans le Benedictus, seulement les « premières parties [c.-à-d. les solistes] du premier chœur », en trio contrastant avec l’Hosanna à quatre chœurs pleins.
De toutes ces partitions, l’ensemble Correspondances en grande formation — seize chanteurs, huit violons, quatre basses de viole et autant de basses de violon, trois théorbes, un basson, deux flûtes et deux cornets, un violone et deux claviers — s’est emparé avec un certain brio. L’on pouvait craindre des décalages entre les chœurs, ou même un simple manque de précision : il n’en a rien été. Il y a quelque chose d’impressionnant dans cet effectif avec du son qui vient de partout, mais aussi tout simplement dans l’impeccable mise en place des pièces où la musique ne vient que d’en face. On retrouve des figures familières, comme l’extraordinaire Lucile Richardot dont chaque solo est remarqué et goûté avec de coupables délices, mais aussi Anne Magouët qui rejoignait Correspondances pour la première fois et qui semble y avoir trouvé sa place. On voudrait citer chacun : la clarté insolente de Violaine Le Chenadec, la noblesse d’Étienne Bazola, la profondeur de Nicolas Brooymans… Le violon d’Alice Julien-Laferrière qui, décidément, par sa beauté d’attaque, donne toujours une belle couleur à l’ensemble… Il faut enfin souligner qu’aucun des quatre chœurs n’était inférieur aux autres : cette égalité, cette constance du niveau musical et technique ne fut sans doute pas pour rien dans la réussite de ce concert.
La direction de Sébastien Daucé a évité tout histrionisme. Comme souvent, le chef a su faire parler la musique sans la tirer vers le spectacle qu’elle pourrait être — cette musique polychorale peut s’y prêter. Pour autant, l’interprétation n’a rien de morne ou de fade, et l’éclat est bien là.
Notre seule réserve quant à l’interprétation concerne la présence des cornets dans la Messe de Charpentier. Il est bien entendu qu’il pouvait y avoir encore des cornets en Italie — encore que pour le cas du Magnificat de Cavalli, on puisse avoir quelques doutes, même s’ils n’avaient peut-être pas été tous décimés par la peste de 1630 —, et nous comprenons bien qu’il était tenté de les faire jouer pour ce finale — mais ils n’avaient, à notre sens, et d’après nos connaissances, pas leur place dans cette musique française du début des années 1670, a fortiori quand ils y imposent une ornementation à l’italienne.
Quoi qu’il en soit, l’ensemble Correspondances a ici montré qu’il a encore bien des choses à dire dans la musique sacrée de Charpentier, et qu’il peut aussi rendre justice à d’autres styles sans toutefois y perdre son âme.
INFORMATIONS
« Charpentier et l’Italie », concert donné au festival d’Ambronay le 30 septembre 2017.
Ensemble Correspondances
Sébastien Daucé, dir.
Photo © Bertrand Pichène
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