par Loïc Chahine · publié samedi 23 septembre 2017
« Car c’est merveilleusement agrémenter la bonne chère que d’y mêler la musique. » L’adage de la marquise Dorimène dans le Bourgeois gentilhomme a trouvé un écho favorable au festival des Promenades musicales en pays d’Auge, en Normandie, qui a eu l’excellente idée de faire se rencontrer les talents des artisans locaux avec ceux des musiciens invités — manière aimable, d’ailleurs, de rappeler qu’artiste et artisan ont ensemble un étroit parentage.
Ce jour-là, c’est dans le chais d’un des seuls vignobles de Normandie, Les Arpents du Soleil (attesté au moins depuis la carte de Cassini de 1761), que devaient se produire le Duo Coloquinte, après une visite du domaine — dont l’activité viticole est rendue possible par une exception de terrain qui a rendu le sol exceptionnel pour la région, et relativement semblable, à ce qui nous a été dit, à celui de Bourgogne — et avant une dégustation.
Le Duo Coloquinte n’est désormais plus vraiment inconnu : il s’est illustré dans un disque remarqué où, à côté d’œuvres pour viole de gambe et violon sans basse continue, Mathilde Vialle et Alice Julien-Laferrière proposaient d’audacieuses transcriptions de trois œuvres pour clavier de Froberger.
Cette fois, c’est autour de Louis Couperin que les musiciennes ont opéré. Autre compositeur exclusif du clavier ? Pas tout à fait, si l’on se souvient qu’on lui doit des « fantaisies pour les violes »… Et si l’on se souvient aussi qu’il ne se contentait pas de jouer du clavecin, mais qu’il était aussi violoniste. Voilà une première « faille » dans laquelle se sont engouffrées les deux musiciennes. D’ailleurs, les fantaisies « pour les violes » se retrouvent dans le même manuscrit que les œuvres pour clavecin.
La deuxième « faille », c’est que les clavecinistes français ne se sont pas gênés pour se servir dans la musique d’autre instruments et la transcrire. Quand on rencontre, par exemple, les nom de Germain Pinel ou de Gaultier dans le manuscrit Bauyn, on se souvient que le répertoire de luth a été mis à contribution ; même certaines pièces de Marais ont pu être transcrites. Quant à d’Anglebert, il s’est, lui, servi dans le répertoire des « violons », c’est-à-dire les danses de Lully. Pourquoi, dès lors, ne pas tenter le chemin inverse ?
C’est d’autant plus tentant que, si certains éléments sont propres à la syntaxe du clavier, le vocabulaire musical emprunté à la danse est commun au violon, au répertoire du clavecin et à celui de la viole — puisque les premières suites françaises ordonnées comme nous les connaissons, Prélude–Allemande–Courante–Sarabande–Gigue, sont celles de Dubuisson, dont Mathilde Vialle livrait ici la première, en ré mineur. Bref, on aurait peut-être tort de sectionner le répertoire alors que les musiciens, eux, étaient plus polyvalents qu’aujourd’hui.
Comme au disque, le Duo Coloquinte convainc par la rondeur du son, par la variété des attaques, par la force d’évocation. Sans jamais rien appuyer, sans vouloir faire ce qu’il n’est pas — imiter le clavecin —, le duo peut se targuer d’une vraie complicité. Les mouvements lents sont marqués par une tension qui ne se relâche guère, les danses par une vivacité suffisamment organique pour ne paraître jamais forcée.
En somme, ce concert-visite-dégustation s’est avéré une vraie réussite non seulement pour l’ouïe, mais aussi pour les autres sens.
INFORMATIONS
Concert donné le 4 août 2017 dans le cadre du festival Promenades musicales en Pays d’Auge.
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