par Pierre-Antoine Miron · publié mardi 29 novembre 2016
Le programme imaginé par le Centre de musique baroque de Versailles et présenté à Budapest (Palace of Arts) le 23 novembre, puis rejoué à Versailles (Opéra royal) le lendemain avait de quoi dérouter de prime abord : en prémices à l’exposition du Château de Versailles consacrée aux « Fêtes et divertissements à la Cour », le directeur artistique du CMBV, Benoît Dratwicki, a conçu un « pastiche » à partir d’extraits de différents ouvrages créés ou joués à la cour entre 1660 et 1780, manière originale de faire revivre (partiellement) un répertoire encore oublié et de tenter de prouver, s’il en est besoin, que cet oubli est une injustice évidente. Évitant ingénieusement le concept du « récital », les extraits sont assemblés avec un réel souci dramatique, développant une action imaginaire où interviennent tour à tour la Gloire, la Renommée et Apollon. Tempête, sommeil, déploration, ballets… aucun des archétypes de l’opéra français n’est oublié dans ce pastiche aux allures de véritable petite tragédie.
À tout seigneur, tout honneur : si Louis XIV fut le concepteur de Versailles, c’est bien Louis XV qui en fut l’hôte principal ; le premier n’y vécu que trente ans, alors que le second y régna dura un demi-siècle. Quant à Louis XVI, il n’y passa que quinze ans, assez toutefois pour laisser le temps à la reine Marie-Antoinette de révolutionner l’art musical français. En respectant ces proportions, le programme imaginé donne ainsi une large place aux auteurs du milieu du xviiie siècle : Pancrace Royer, Bernard de Bury, François Colin de Blamont, Jean-Marie Leclair, Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville et Antoine Dauvergne voisinent ainsi sans pâlir avec le grand Rameau. Pour le règne précédent, Lully est bien sûr présent, de même que Lalande et Destouches, ainsi que, pour la musique de Louis XVI et Marie-Antoinette, Gluck, Philidor et Piccinni. De cette abondance de musique on ne retiendra qu’une chose : le foisonnement et la beauté de ce répertoire français, écrit pour la cour avec raffinement et habileté. L’efficacité théâtrale de Colin de Blamont, les harmonies recherchées de Bury, les mélodies irrésistibles de Leclair, l’inventivité orchestrale de Royer, la virtuosité débridée de Mondonville : tout concoure, dans ce pastiche, à faire aimer cette musique française que d’aucuns décrient encore comme trop uniforme et maniérée. Assurément, une nouvelle preuve est faite de l’inverse.
C’est sans doute aux interprètes de la soirée que l’on doit de rendre à ce répertoire tout le relief dont il est porteur. L’Orfeo Orchestra maîtrise parfaitement le style français et exploite au mieux les spécificités de son coup d’archet, de ses inégalités et de son ornementation, mais sans renier pour autant une certaine franchise de timbre et une emphase all’ungarese qui sied, en définitive, parfaitement à la majesté versaillaise. Tout au plus relèvera-t-on un pupitre de basses trop peu nombreux, malgré l’investissement des instrumentistes et le brio de la claveciniste Flora Fabri. Mention spéciale aux flûtes, hautbois, bassons, cors et trompettes, dont les sonorités fruitées et la précision du jeu rehaussent à propos les cordes emmenées par le fameux violoniste anglais Simon Standage que l’on retrouve ici avec surprise et plaisir. Quant aux percussions, parfois roboratives, elles développent toute une gamme de rythmes et d’effets qui produisent, à elles seules, du théâtre dans le théâtre. Des applaudissements nourris salueront d’ailleurs, en fin de concert, l’engagement de l’interprète. Le Purcell Choir se montre plus remarquable encore : on peut sans conteste affirmer qu’il s’agit d’un des plus beaux ensembles choraux qu’il ait été donné d’entendre dans ce répertoire ces dernières années. Si les accents sont peut-être moins variés que ceux d’ensembles comme Pygmalion ou Le Concert Spirituel, la plénitude du son, la qualité des timbres, la fusion des voix révèlent un travail de longue haleine et un savoir-faire exemplaire de la part du chef. Rarement, à l’Opéra royal, on aura entendu un tel ensemble : « Que tout gémisse… », oscillant d’un imperceptible piano au forte le plus impressionnant, est anthologique par son sens de la rhétorique. On ne peut que s’étonner de l’absence de Purcell Choir et d’Orfeo Orchestra sur la scène internationale, tant il est évident que ces ensembles n’ont pas vocation à n’œuvrer qu’en Hongrie. Fort heureusement, les derniers projets montés avec le CMBV donnent lieu à des parutions discographiques régulières chez le label Glossa, qui permettent à tous d’admirer le travail accompli.
Le chef György Vashegyi a parfaitement compris le goût français pour la danse et le théâtre, ne se bornant pas — contrairement à nombre de ses collègues étrangers — à la simple lecture de la musique. La justesse de ses tempos, souvent allants, la parfaite conduite des phrases, évitant les respirations mal à propos, la recherche de couleurs et de dynamiques marquées et contrastées enfin, donnent à sa direction un grand relief. Attentif aux détails des partitions, il soigne aussi les enchaînements de ce « pastiche » pour le conduire de bout en bout sans temps mort.
La soprano hongroise Emöke Barath, déjà connue du public français (elle était, par exemple, le rôle titre de l’Elena de Cavalli dirigée par Leonardo García Alarcón), révèle une nouvelle fois la beauté de son timbre et sa parfaite connaissance du style baroque. Ses progrès en Français sont remarquables et permettent d’apprécier la sincérité de son incarnation de Télaïre dans Castor et Pollux. L’air « Viens amour… » qu’elle chante avec le chœur, tiré de Scylla et Glaucus, est un moment de grâce absolu, suspendu dans les cintres de l’Opéra, et interprété avec une grâce infinie.
Chantal Santon est décidément une soprano atypique : dans le même programme elle assume aussi bien des rôles légers, brillants et vocalisants (ne faisant qu’une bouchée de l’exigeant air de la Grâce dans La Princesse de Navarre) que des pages dramatiques, se révélant là où on ne l’attendait guère dans deux extraits d’Iphigénie en Tauride beaucoup plus larges et intenses. À dire vrai, l’un et l’autre répertoire semblent lui convenir parfaitement, tant elle s’applique à plier sa voix longue et charnue aux partitions qu’elle aborde.
Le baryton Thomas Dolié fait valoir une voix aux couleurs et à l’épaisseur encore plus impressionnantes et séduisantes qu’à l’ordinaire : chanteur autant que diseur et acteur, il donne à son discours une intelligence peu commune, qui fait de lui, incontestablement, l’un des meilleurs barytons pour ce répertoire aujourd’hui, peut-être même plus inspiré encore que ne l’est dans cette musique son collègue Stéphane Degout.
Ce concert à fort heureusement donné lieu à un enregistrement discographique, à paraître, qui devrait ravir les passionnés de musique française et de Versailles, mais même, beaucoup plus largement, les mélomanes de tous bords. Un prochain projet du Centre de musique baroque de Versailles avec les mêmes interprètes, Naïs de Rameau, est annoncé sur le site du CMBV pour mars 2017.
INFORMATIONS
« Un Opéra pour trois Rois »
Versailles, Opéra royal, Jeudi 24 novembre 2016
Emöke Barath et Chantal Santon, sopranos
Thomas Dolié, baryton
Purcell Choir
Orfeo Orchestra
György Vashegyi, dir.
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