par Loïc Chahine · publié vendredi 8 janvier 2016
C’est une des nouvelles têtes de la Folle Journée : Joëlle Kérivin a succédé à Michèle Guillossou en tant que directrice générale de la SAEML, la société qui assure la production de la Folle Journée aux côtés de René Martin, son directeur artistique. Un mois avant l’évènement et à quelques jours de l’ouverture de la billetterie, elle nous a reçu et nous a accordé un long entretien.
Le Babillard. Parlez-nous un peu de votre parcours : qu’est-ce qui vous a amenée jusqu’à la Folle Journée ?
Joëlle Kerivin. J’ai plutôt, au tout début, un parcours dans la communication et l’événementiel, mais très rapidement, je me suis orientée vers les ressources humaines et le management, plus particulièrement dans l’accompagnement de projets et la conduite du changement. J’ai eu l’opportunité de prendre la succession de Michèle Guillossou. Ma mission c’est de me demander comment ce festival continue de se développer, de se questionner, en étroite collaboration avec René Martin [le directeur artistique, ndlr]. Nous cherchons à ouvrir, par exemple en proposant une interdisciplinarité artistique. Ce qui me plaît, dans ce festival, c’est qu’il y a quelque chose de fou, de curieux, et qui ne doit pas s’enfermer dans un ronronnement qui serait trop confortable.
Quelles sont exactement vos fonctions ?
J’ai la direction de la SAEML qui est le producteur de l’évènement. Cela signifie, concrètement, faire en sorte que tout se passe bien sur le plan logistique, technique, administratif, financier d’un évènement de cette taille. C’est gérer les contrats des artistes, c’est faire en sorte que les équipes techniques puissent travailler au mieux… Mes fonctions sont très diverses, à la fois dans le réactif et le prospectif. On passe de choses très concrètes à des choses beaucoup plus stratégiques, d’interrogations sur les réflexions à mener dans les deux années à venir.
Quelles nouveautés attendent le public cette année et dans les années à venir ?
On a d’abord une programmation qui évolue vers d’autres formes. Il y a de plus en plus de musique d’aujourd’hui. La programmation de cette année comprend à 25 % de la musique contemporaine et actuelle, et aussi des musiques folkloriques et traditionnelles ; on balaye plusieurs siècles de musiques, mais aussi plusieurs courants pendant ce festival. Nous verrons certains artistes qui sont très connus dans leurs pays et qui vont se produire pour la première fois en France ; il y a aussi des projets originaux par exemple à la serre du Jardin des Plantes, et plusieurs créations pour la Folle Journée.
Vous pensez que des gens qui ne sont jamais venus peuvent venir écouter, par exemple, Messiaen ou Takemitsu ?
Je pense que ce sont effectivement des choses que la Folle Journée permet quand on se place dans cette idée d’un parcours musical accompagné. La Folle Journée c’est aussi : « je ne suis jamais venu, j’ai une idée d’œuvre à voir absolument et puis il faut absolument que je voie un deuxième concert, ou celui-là était complet, et là j’ai une opportunité, j’y vais, je me laisse porter. » La magie de la Folle Journée, c’est ça : au-delà de concerts très programmés, c’est la découverte de compositeurs et d’artistes. C’est ce qui fait la différence avec un concert ponctuel dans l’année.
Justement, certains regrettent que l’ensemble des propositions ne soit pas étalé sur toute l’année de manière à créer une saison très riche…
C’est tout à fait d’actualité pour la Folle Journée. Nous souhaitons vraiment développer la temporalité de notre festival, avec, évidemment, le point d’orgue qu’est le festival de cinq jours, mais avoir aussi une résonance au fil des saisons. C’est pour cette raison que nous allons organiser d’autres concerts au printemps, dans les jardins nantais, et que nous réfléchissons à la manière d’en proposer d’autres dans l’année en lien avec le thème initial de la Folle Journée. Bien sûr, cela ne pourra jamais être 340 concerts, mais en tout cas, pour les projets singuliers, pour les œuvres qui ont le plus marqué, nous voudrions permettre une seconde ou troisième écoute.
Vous avez aussi annoncé le lancement d’une application pour smartphones.
Oui, j’ai souhaité que nous nous saisissions des outils numériques. Nous allons nous doter d’un site internet renouvelé, et nous aurons dès cette édition une application, qui doit à la fois accompagner les spectateurs pendant le festival — comment je me repère ? Quelles sont les dernières infos ? Un œil sur les coulisses aussi… —, mais aussi, tout au long de l’année, proposer des éléments sur les artistes, sur l’évènement… Nous souhaitons développer l’interactivité avec le public.
Pendant que nous sommes dans les reproches qui sont parfois faits à l’évènement, une expression qui revient souvent est la comparaison avec un supermarché. Qu’avez-vous envie de répondre ?
Je n’aime pas beaucoup cette image. La profusion, le bouillonnement, c’est aussi ce qui permet, pour de nombreux spectateurs, la découverte. Je ne suis pas convaincue que beaucoup de gens seraient allés écouter les tambours du Burundi. Or, ils seront régulièrement, pendant le festival, dans la grande halle. Ce sera pour beaucoup une découverte, peut-être que cela suscitera l’envie d’aller entendre, par exemple, les tambours japonais.
Enfin, parmi les nouveautés, il en est une qui concerne la billetterie.
Nous ouvrirons la billetterie en ligne en même temps que la billetterie à la Cité. Pourquoi ce choix ?
Il était de coutume que certains viennent attendre longtemps à l’avance et que, même si la billetterie elle-même n’ouvrait que le samedi matin, la Cité ouvrait dès le vendredi à 22h pour que les gens puissent dormir à l’intérieur. Cette année, la Cité ouvrira à 8h et la billetterie à 9h. Il nous semblait, d’un point de vue budgétaire, que le coût de cette « nuit de la billetterie » était très élevé et que cet argent pouvait être utilisé pour financer des actions de médiation ou d’autres concerts. Nous sommes de plus dans une époque où les contraintes économiques pèsent, il y a des choix à faire pour optimiser au mieux. Par ailleurs, beaucoup de gens avaient l’idée que l’évènement ne concernait que ceux qui pouvaient venir faire la queue, attendre, qu’eux seuls pouvaient être bien servis dans leurs choix de concerts. Le simple fait qu’il n’y ait pas qu’un public nantais à la Folle Journée contredit cependant cette idée. Et puis, il y a beaucoup de Nantais qui nous disent qu’ils n’ont jamais de places ! À la fois pour permettre l’accès d’un plus grand nombre à la billetterie, et pour ces questions budgétaires, il me semblait opportun d’apporter cette nouveauté. La billetterie en ligne ouvrira au même moment, à 9h. Il y aura, comme à la Cité, un système de file d’attente virtuelle. Certes, il y a eu des dysfonctionnements l’année dernière ; je ne peux pas dire qu’il n’y aura pas de bug cette année ; nous faisons tout pour que cela se passe bien, évidemment. Et nous allons nous doter de notre propre outil dès l’année prochaine pour qu’il soit optimisé et le plus adapté possible à notre festival. Le but, à terme, est de toute façon de diminuer la billetterie in situ.
Il faut aussi rappeler que des places sont remises en vente après le grand départ, et que la Folle Journée n’a jamais rempli à 100 %. On a une jauge extraordinaire, supérieure à 90 %, mais ça n’est pas 100 %. Chaque jour, sur nos réseaux sociaux, nous indiquerons le nombre de places qui restent.
Justement, évoquons quelques chiffres. La Folle Journée a un fonctionnement économique un peu particulier.
Le budget de la Folle Journée, c’est 4,6 million d’euros qui se répartissent en trois pôles majeurs : les recettes de billetteries, les subventions publiques et les partenariats privés. La billetterie, l’année dernière représentait 48 % des recettes ; il y a à peu près, dans les 52 % restants, autant de subventions que de fonds privés. Cette originalité est aussi une manière d’illustrer la richesse du territoire, puisqu’un territoire, ce sont des partenaires publics, privés et associatifs. Du côté des dépenses, à côté du budget de rémunération des artistes, il faut penser qu’il y a les frais de voyages, le budget technique, les droits de cessions, les taxes, et tous les prestataires autour de l’évènement, comme les traiteurs.
Et c’est combien de personnes ?
C’est à la fois la SAEML, c’est cinq personnes sur l’année et une quinzaine sur le temps du festival. Il faut y ajouter les équipes du CREA, qui sont composées d’une douzaine de personnes pendant toute l’année. Si l’on compte tous les services de la métropole qui travaillent avec nous, le personnel de la Cité, du Lieu Unique, la restauration, les bénévoles, on monte jusqu’à 500 personnes. Les artistes représenteront entre 250 et 300 personnes. L’année dernière, il y a eu 158 000 spectateurs.
Dans le contexte actuel, quelles sont les mesures concernant la sécurité ?
Tout acteur culturel aujourd’hui se pose la question : qu’est-ce que l’on met en place, aujourd’hui, sans inquiéter ? Comment rassurer un public tout en conservant le caractère convivial de l’évènement et en préservant l’émotion ? Le budget sécurité est multiplié par trois. Ce que nous ferons, c’est évidemment un contrôle plus rigoureux. Nous demanderons au public d’arriver un peu plus tôt sur le lieu de la Cité de manière à ce qu’il passe sereinement les contrôles et puisse se rendre ensuite tranquillement aux salles de concert.
Quel regard portez-vous sur la place d’un tel évènement dans la société ?
Notre but demeure de créer un évènement convivial qui puisse amener la rencontre avec l’autre et le plaisir partagé. En cela, la Folle Journée remplit ses fonctions, parce que des gens se croisent qui ne se seraient pas croisés autrement, parce que les œuvres, les concerts proposés vont susciter une émotion de la part de l’ensemble du public. Nous avons beaucoup d’actions à destination des publics qui, peut-être, ne viendraient pas : ouverture aux publics dits « empêchés », aux scolaires. Nous travaillons aussi avec l’école de la deuxième chance.
Par exemple pour les scolaires, comment ça se passe ?
Nous travaillons avec le rectorat, nous avons des parcours accompagnés. Certains enseignants construisent des projets pédagogiques à partir ou autour de certaines œuvres qui seront données à la Folle Journée. On ne se contente pas de leur réserver un certain nombre de places, il y a une préparation en amont. Par ailleurs, il y a des actions qui sont menées dans les établissements scolaires, des rencontres avec des musiciens, parfois aussi avec des techniciens. Sur place, nous prévoyons des locaux pour qu’à l’issue du concert, les professeurs et leurs classes puissent se retrouver pour échanger à propos du concert. Nous pourrions d’ailleurs avoir encore plus de scolaires.
Mais la culture musicale, en France, reste assez marginale et occupe peu de place dans l’enseignement.
Nous en parlions avec un de nos partenaires, Desevedavy [magasins d’instruments de musique, en particulier de pianos, ndlr], et nous remarquions que souvent, la pratique musicale est liée à une histoire familiale, aux parents, à quelqu’un dans la famille qui pratique ou a pratiqué. Nous avons eu un échange assez long, nous demandant comment on pourrait susciter ce désir d’apprentissage de la pratique musicale.
Encore un point d’actualité pour conclure : nous avons appris aujourd’hui la mort de Pierre Boulez. Une réaction ?
De manière spontanée, on a envie de dire que c’est une grande perte, que c’est toujours émouvant, c’est toujours beaucoup d’émotion qui part avec une telle personnalité. Comment est-ce qu’on fait en sorte que des personnes de ce genre soient toujours présentes à travers leurs œuvres ? En ce sens, les festivals comme les nôtres sont importants : comment est-ce qu’on permet une éternité ? C’est aussi parce que l’on joue les œuvres que les compositeurs continuent d’exister.
Merci beaucoup, Joëlle Kérivin, de votre accueil et du temps que vous nous avez consacré. Encore un mot ?
Je vais découvrir pour la première fois la Folle Journée de l’intérieur, et j’espère avoir autant de plaisir que nous souhaitons en donner au public qui viendra assister à l’évènement.
Propos recueillis à Nantes le mercredi 7 janvier 2016.
INFORMATIONS
La Folle Journée de Nantes se déroulera à la Cité (anciennement des Congrès) du 3 au 7 février 2016.
D’AUTRES ARTICLES
Jakub.
On dit toujours force mal des réseaux sociaux, mais sans…