par Loïc Chahine · publié samedi 12 septembre 2015
Le Babillard s’est déjà fait l’écho d’un programme tout à fait similaire donné par La Galanía au festival Musique et Nature en Bauges, quoique portant un titre différent. Est-ce pour souligner les menues différences que l’intitulé est ici devenu Farsa y Picaresca ? L’ordre des pièces a changé, mais surtout, et en l’occurrence hélas, le superbe lamento de Pico y Canente de Juan Hidalgo a disparu, afin de mieux “coller” au thème du festival (« Farce(s) »).
Si nous avons souhaité réentendre Raquel Andueza et La Galanía, c’est d’abord parce que c’était très bien la première fois et que dès lors, on y revient volontiers ; ensuite, que nous caressions l’espoir d’avoir, cette fois, les textes sous le nez — espoir qui, dans l’ensemble, n’a pas été déçu, puisque les poèmes étaient presque tous dans le livret, et en particulier la longue Carta de Escarramán a la Mendez de Quevedo (en octosyllabes non rimés) devenue par sa mise en musique Jácara de la Trena. On a ainsi pu en goûter les subtilités de cette fictive lettre adressée par un taulard (le mot de trena est plus populaire que ceux de cárcel ou de prisión) à sa compagne restée en liberté ; il y raconte ses mésaventures, comme dans ce couplet très baroque où le malheureux Escarramán plaint son pauvre dos qui, à force d’être fouetté, est devenu aussi rouge que la robe d’un cardinal :
Inclinada la cabeza
A Monseñor Cardenal
Que el rebenque sin ser Papa
Cría por su potestad.
Faisons salut de la tête
À ce nouveau cardinal
Que le fouet, sans être pape,
A créé par son pouvoir.
On s’est également délecté des aventures de Marizápalos, jeune demoiselle, nièce du curé et amoureuse d’un certain Pedro Martín : alors qu’elle s’en va cueillir des fleurs, « un soir / dans un bosquet verdoyant » (una tarda al verde sotillo), ledit Pedro Martín survient…
Merendaron los dos a la mesa
que puso Marieta de su faldellín,
y Perico, mirando a lo verde,
comió con la salsa de su perejil.
Tous deux font pique-nique sur la table
Que Mariette a dressée sur son jupon,
Et Petit-Pierre, jetant un œil à la verdure,
Mange avec la sauce de son persil.
Il fait bien de regarder la verdure, Petit-Pierre, car survient alors le curé qui se promenait dans les bosquets et qui, s’il s’était pointé un peu plus tôt (ou plus tard), « en bon connaisseur de la grammaire, les aurait pris à faire du mauvais latin » (como sabe gramática el cura, / podía cogerlos en un mal latín) — sans doute le genre de mauvais latin qu’on peut apprendre sur les murs de Pompéi.
Avoir les poèmes sous les yeux pendant qu’on écoute pourrait paraître anecdotique satisfaction purement littéraire si cela ne nous permettait de prendre conscience de la qualité d’expression du texte dont fait preuve Raquel Andueza ; la voix se teinte en fonction des mots à mettre en valeur. On entend aussi plus clairement l’osmose qui règne entre la chanteuse et les instrumentistes qui, véritablement, accompagnent chaque inflexion qu’elle donne aux paroles. On admire aussi l’abattage scénique de la soprano.
Notons aussi que pour ce concert, le violoniste était José Manuel Navarro qui jouait avec davantage de retenue que son confrère de la précédente performance, ce qui n’a pas été pour nous déplaire. Du côté des cordes pincées, l’entente est toujours parfaite entre la guitare de Pierre Pitzl, tantôt très rythmique, tantôt plus subtile, et le théorbe solide de Jesús Fernández Baena ; les deux musiciens se complètent à merveille, et sont soutenus avec toujours autant de verve par les percussions inspirées de David Mayoral — bref, l’enthousiasme des instrumentistes comme de la soprano est communicatif.
En somme, la deuxième fois, si l’on excepte la suppression du lamento de Juan Hidalgo, a sans doute été encore plus convainquante que la première. Ajoutons que le bis, l’air « Sé que me muero », extrait du ballet final du Bourgeois gentilhomme, a toujours une allure d’instant d’éternité. À quand la troisième ?
Les pièces suivantes sont extraites du disque Yo soy la locura enregistré par La Galanía et publié par le label Anima e Corpo.
Marizápalos.
Lully, « Sé que me muero ».
INFORMATIONS
Farsa y Picaresca, œuvres espagnoles et en espagnol de la première moitié du xviie siècle.
La Galanía
Raquel Andueza, chant.
Concert donné le samedi 29 août 2015 en l’église de Brûlon, dans le cadre du Festival de Sablé.
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