par Wissâm Feuillet · publié dimanche 17 juillet 2016 · ¶¶¶¶
Rare au disque, il semblerait qu’Elisabeth Joyé mûrisse longuement un programme avant de l’enregistrer et qu’elle mette un point d’honneur à faire découvrir ceux qu’on enregistre peu. En effet, qui aurait pensé à l’Allemand Fischer, pile à cheval entre le xviie et le xviiie siècle, dont les pièces pour clavier n’ont pas été enregistrées, sauf erreur, depuis une petite dizaine d’année ? À peine se souvient-on, du moins lorsqu’on est claveciniste, de quelques chaconnes bien inspirées, tout au plus, en oubliant que ces chaconnes font partie de suites de danses tout à fait bien écrites, mêlant avec équilibre le goût français et le goût allemand.
Ce sont deux de ces suites, tirées du Musicalischer Parnassus, qu’Elisabeth Joyé donne au disque, auxquelles s’ajoutent des pièces éparses, ainsi que plusieurs pièces d’orgue, notamment extraites d’Ariadne Musica. Rien qu’aux titres choisis par Fischer, mobilisant le Parnasse ou la figure d’Ariane, on sent une sensibilité mythologique qu’on a envie de qualifier de néoclassique, voire, en plein xviiie siècle, de décadente. En effet, ces références à une Antiquité mythique ne sont pas sans rapport avec la musique écrite par Fischer, aucunement archaïque, mais résolument tournée vers le passé quant à son inspiration : on sent, dans ces suites de danses à l’élégance extrême, l’influence des vieux maîtres français (Chambonnières, D’Anglebert, Louis Couperin…), parfaitement compris et digérés par Fischer, mais relus avec une fermeté et un certain sens de l’épure tout « germaniques ». Elisabeth Joyé excelle à rendre compte de cette duplicité : dominant parfaitement le raffinement du goût français — ce dont témoignait déjà son interprétation de Duphly (Alpha, 2008) —, son toucher sûr et convaincant met joliment en lumière la franchise simple de la musique de Fischer. Les préludes ou toccatas arpégés sont pleins de grâce, et les pièces finales — chaconnes ou passacailles — triomphantes. Si, entre ces deux extrémités, les suites contiennent quelques beaux moments, il ne faut pas cacher que cette musique passe quelque peu inaperçue, qu’elle ne reste pas dans l’oreille, et nous n’en tiendrons pas rigueur à Elisabeth Joyé qui l’interprète avec panache : elle ne peut rien contre la relative fadeur de certaines gavottes ou gigues…
La bonne surprise de ce disque est plutôt à trouver du côté des pièces d’orgue qui constituent la deuxième partie du programme. On pourrait douter de la capacité des clavecinistes à jouer de l’orgue sans bavure, cependant, le jeu d’Elisabeth Joyé est ici remarquable : les préludes et fugues d’Ariadne Musica et du Musicalischer Blumenstrauss sont d’une belle densité sous les doigts — et les pieds — de la musicienne, évoquant Buxtehude à tel endroit, annonçant Bach à tel autre. Saluons aussi un parti pris judicieux : avoir enregistré la chaconne de la suite Euterpe à l’orgue plutôt qu’au clavecin. Le seul reproche que nous pourrions faire à cette prestation organistique est d’avoir peu tiré parti de la variété de la registration.
Si l’on aurait pu souhaiter, peut-être, qu’une claveciniste de la trempe d’Elisabeth Joyé, au sommet de son art, s’attèle à un répertoire plus ambitieux (pourquoi ne pas poursuivre, après son beau Duphly, dans le xviiie siècle français, avec Forqueray, Balbastre, Pancrace Royer ou d’autres ?), cet ensemble de pièces s’installe en bonne place dans la discographie de Fischer.
Aria et huit variations
Chaconne
INFORMATIONS
Elisabeth Joyé, clavecin et orgue
1 CD, 66’, Encelade, 2016.
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