par Loïc Chahine · publié mardi 5 juillet 2016 · ¶¶¶¶
Il est des secrets qui sont bien gardés. Ainsi, peu de mélomanes, sans doute, peuvent se vanter de connaître la musique de Jacques Le Polonais, pourtant l’un des pères de l’école française de luth baroque. Mort vers 1605, il ne nous est vraiment connu qu’après, et en particulier par des encyclopédistes du xviie siècle. La première parution de ses œuvres date de 1603, et d’autres pièces nous sont parvenues par des sources posthumes. Tout se passe comme si en effet le secret de son talent avait été gardé aussi longtemps que possible, du moins pour la postérité, car, luthiste à la cour de France, Le Polonais a bien dû jouir d’une certaine notoriété en son temps.
Il s’appelait en fait Jacob Reys. C’est de sa naissance en Pologne et de son ascendance qu’il tira son surnom. Comme l’écrit Paul Kieffer dans la note d’accompagnement du disque, « sa façon de composer de distingue de celle de ses contemporains italiens », et cette musique semble, en son dernier quart du xvie siècle, amorcer vivement le passage vers le premier baroque français ; on pense en entendant certaines tournures mélodiques, certains enchaînements harmoniques, à ce que l’on trouvera chez la triade de l’air de cour, Guédron, Moulinié, Boësset. C’est particulièrement vrai des danses, comme par exemple telle Gaillarde (piste 2).
Au reste, la polyphonie, qui est magnifiée dans des fantaisies et des variations (sur Une jeune fillette, par exemple), n’est pas moins soignée que ces charmantes mélodies, et fera davantage songer à l’héritage franco-flamand et à son goût pour les amples détours, lequel goût on retrouvera encore chez Sweelinck par exemple.
Parce que son programme se nourrit aussi bien des danses légères que des fantaisies ou des variations plus contrapuntiques, ce disque monographique consacré à Jacques Le Polonais illustre bien la variété du répertoire de luth, aimant aussi bien la méditation que le divertissement (voire la méditation sur le divertissement). Il nous montre aussi que sur le luth, passer d’une tonalité à l’autre, c’est souvent explorer des registres différents et susciter des résonances diverses, et c’est un peu changer de monde ; ainsi, le passage, de la piste 24 à la 25, de si bémol majeur à fa mineur est particulièrement frappant.
Outre l’habileté dans le choix choix du programme, il faut mettre encore au crédit du jeune luthiste Paul Kieffer un toucher vif, argentin même, mais aussi varié, car il sait se faire plus grave dans les pièces méditatives, comme le prélude initial ; ce toucher précis, agile, fait merveille dans les pièces rapides, car la vivacité ne tombe jamais dans la vaine démonstration (est-elle possible au luth ?) et sait demeurer toujours empreinte de délicatesse, soulignant la fraîcheur de cette musique. Les ornements sont aussi nets que bien intégrés à la ligne mélodique. On apprécie aussi tout particulièrement la clarté polyphonique, car, sans y prendre garde, l’auditeur suit avec beaucoup d’aisance les différentes voix — et si on les suit si bien, c’est qu’on y est bien guidé par le musicien. Bref, rarement luth aura si bien sonné, sonné avec tant d’enchantements.
On l’aura compris, il s’agit là d’un disque de grande valeur. Quand on songe que c’est le premier disque de solo de Paul Kieffer, l’on se dit que s’il continue d’être si bien servi, le répertoire de luth a de beaux jours discographiques devant lui.
Galliard (ut mineur)
Fantaisie (ré mineur)
Sarabande (ré mineur)
INFORMATIONS
Paul Kieffer, luth à 8 chœurs de Grant Tomlinson
1 CD, 67’13, Ævitas, 2016.
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