par Loïc Chahine · publié vendredi 29 avril 2016 · ¶¶¶¶
Le quatuor Varèse ne choisit pas la facilité. D’abord, en commençant sa carrière discographique par un programme réunissant deux œuvres “contemporaines”, tout un certain public disons conservateur, voire franchement hostile à tout ce qui n’est pas immédiatement séduisant et mélodique, se détournera — bien à tort — de ce disque. D’autre part, il n’opère pas les rassemblements les plus attendus : Ravel, Dutilleux, mais pas Debussy. Ainsi la nuit, mais pas les Métamorphoses nocturnes de Ligeti. Mais au lieu de ces dernières, nous avons Arcadiana, quatuor de l’Anglais Thomas Adès lui aussi truffé d’allusions nocturnes, que ce soit par le titre de son premier mouvement, « Venezia notturno », ou par, au détour d’un autre mouvement, la citation d’un motif (du motif ?) de la Reine de la Nuit.
De fait, les allusions musicales sont abondantes. Ainsi, le troisième mouvement, empruntant son titre à un lied de Schubert, «&nbpsp;Auf dem Wasser zu singen », en reprend le motif d’accompagnement, le distend, le déforme, bref, le travaille. Ces renvois musicaux créent une connivence avec l’auditeur et laissent souvent entrevoir un certain humour. Placé par son titre sous l’influence de l’idéale Arcadie, l’œuvre déploie en effet une ambiance idyllique ; mais, ici comme dans la tradition, un spectre semble traverser, çà et là, l’ensemble des mouvements : le proverbe Et in Arcadia ego est ainsi évoqué par le titre du mouvement central, « Et… (tango mortale) ». Il faut absolument découvrir Arcadiana, œuvre évocatrice, presque picturale, variée, protéiforme même, et extrêmement agréable.
Quoique ce soit l’une de ses œuvres les plus connues, Ainsi la nuit n’est pas ce qu’il y a de plus abordable chez Dutilleux : la richesse et la complexité de la musique déroutent aux premières écoutes, et la musique ne se donne pas aisément. Il faut néanmoins persévérer, et l’on se laisse alors prendre par une musique pleine d’élan, excellant à évoquer des ambiances, aux allures par endroits quasi cinématographiques, et ménageant de nombreux surgissements.
Il faut persévérer ne serait-ce que pour la qualité de ce que nous offre le quatuor Varèse : une lecture très tendue, volontiers inquiète (donc expressive), qui se distingue en particulier par son acuité, sa précision, mais aussi son engagement. Il y a, à l’évidence, un soin à faire vivre chaque note, chaque accord, peut-être parfois aux dépens d’un phrasé plus global. En cette dense promenade (voire errance) nocturne, les sonorités sont somptueuses et magnifiées par une superbe prise de son.
Le quatuor de Ravel est beaucoup mieux connu, et nous ne nous y étendrons pas. Signalons qu’après le spectre d’Arcadiana et les tensions de la Nuit, il apporte une ambiance beaucoup plus apaisée, dont on ne sait s’il est le crépuscule qui dût précéder les autres œuvres du programme, où l’aube qui les suit. Il est joué ici avec beaucoup de finesse, de délicatesse, des couleurs agréablement pâles, avec çà une touche de vivacité plus pointue, là une de sentimentalisme.
Voilà en somme un premier disque qui a l’air de n’en être pas un, tant le métier semble déjà sûr et mûr. Assurément, le quatuor Varèse est à écouter ici, et à suivre.
Dutilleux, Ainsi la nuit, I, « Nocturne »
Adès, Arcadiana, VI, « O Albion »
INFORMATIONS
Thomas Adès : Arcadiana (1994).
Henri Dutilleux : Ainsi la nuit (1976).
Maurice Ravel : Quatuor en fa majeur op. 35.
Quatuor Varèse
1 CD, 66’08, NoMadMusic, 2016.
Ce disque peut être acheté sur le site de l’éditeur.
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