par Wissâm Feuillet · publié jeudi 28 avril 2016 · ¶¶¶¶
Les six concertos dits « brandebourgeois » de Bach (1721) font partie des œuvres les plus enregistrées du répertoire baroque : depuis le milieu du siècle dernier, on compte les enregistrements par dizaines. On est donc en droit de se poser la question : que peut bien apporter un énième enregistrement de ces fameux concertos dont on a tous dans l’oreille au moins un ou deux motifs ? Que peut-on faire après des ensembles prestigieux comme l’Akademie für Alte Musik Berlin, Il Giardino Armonico, Le Concert des Nations… ? Malgré cette liste décourageante, le flûtiste Hugo Reyne et sa Simphonie du Marais, qui se sont fait connaître davantage pour leurs performances dans le répertoire opératique français, relèvent le défi avec un beau coffret 2 CDs reprenant en partie un enregistrement live d’un concert donné en 2012 à Montaigu.
Cette abondance discographique a une contrepartie pour l’auditeur : chacun a pu, sans doute, trouver déjà « sa » version préférée, et probablement faut-il prendre le temps d’oublier les enregistrements qui nous sont familiers pour écouter ces concertos d’une oreille « vierge » et accepter cette nouvelle proposition sans être déçu.
À la page 23 du livret d’accompagnement, Hugo Reyne a cette formule : « Nos » Concertos brandebourgeois. Le déterminant possessif invite l’auditeur à se demander ce que cette nouvelle version a de si personnel, de si singulier qu’elle puisse se démarquer des autres en proposant véritablement une nouvelle lecture d’une des œuvres majeures du Kapellmeister de Köthen.
Rassurons-nous : il n’y a là aucun grand bouleversement, aucun parti-pris complètement extravagant, aucune révolution, et c’est heureux, puisqu’il n’y a pas cinquante manières d’exécuter ces concertos. Notons d’abord qu’un effort a été fait pour valoriser la polyvalence des instrumentistes : trois des violonistes sont aussi altistes et deux violoncellistes sont gambistes, ce qui était, après tout, monnaie courante au début du xviiie siècle. De plus, quelques changements d’instrumentation ont été opérés : point de traverso dans le concerto no 5, mais une flûte de voix ; point de trompette dans le concerto no 2, mais une « tromba da caccia » [trompette de chasse], plus incisive. Enfin, l’énigmatique cadence du concerto no 3 est traitée de façon plutôt inventive : c’est peut-être là qu’un orchestre a de quoi se distinguer. D’aucuns plaqueront les deux accords de l’adagio sans réfléchir beaucoup plus ; d’autres, et c’est le cas ici, construisent un véritable développement qui tente de donner du sens à une des grandes ellipses musicales de l’histoire.
Ce qui ne fait pas doute, c’est la grande virtuosité des solistes, assumant une parfaite technicité : Hugo Reyne et Julien Martin sont brillants aux flûtes à bec, Yannick Varlet au clavecin, Jesenka Balic Zunic admirable au « violino piccolo » et au violon, et Guy Ferber extrêmement expressif à la « tromba da caccia ». Peut-être une préférence pour les concertos avec instruments à vents commence-t-elle à se dessiner ici : en effet, la sécheresse qu’on pourrait reprocher aux cordes est atténuée par une présence remarquable des vents dans les concertos no 1, 2 et 4, où s’illustrent avec talent les flûtes à bec, les hautbois, la trompette et les cors. Les réussites de La Simphonie du Marais sont donc inégales : restent en retrait les concertos no 5 et 6, dont on ne ressort pas ébouriffé. L’admirable concerto no 3, écrit à l’italienne, laisse entendre, quant à lui, ce qu’on aurait aimé retrouver sur l’ensemble de l’enregistrement : une certaine rondeur.
Car il est un détail qui, malgré toute la bonne volonté du monde, ne peut être omis : le manque de précision du live, doublé de la grande sécheresse de l’acoustique de la salle dans laquelle a été fait l’enregistrement. Dès les premières notes du concerto no 5 qui ouvre l’enregistrement (un ordre différent de celui du manuscrit de 1721 a été choisi), on est gêné par le manque de rondeur des cordes, par le peu d’homogénéité de la « pâte » orchestrale dû à une absence totale de résonance. Ainsi la flûte, les cordes et le clavecin sont-ils comme séparés, éloignés par cette acoustique.
Peut-être le continuo est-il un peu lourd ou trop appuyé ici ou là, du fait qu’il soit « gonflé » par un deuxième violoncelle et une contrebasse. Disons que davantage de légèreté aurait pu être, au détour de certains mouvements, au rendez-vous…
Malgré tout, les tempos choisis sont justes et sans aucun excès, servis par une belle dynamique de groupe dont la prise de risque est peut-être rendue plus sensible par le live. Le discours des parties concertantes est parfaitement clair, et les ripieni souvent brillants, tout à fait dignes de ces concertos dont le caractère est principalement festif.
Concerto no 4, I, Allegro
Concerto no 1, I, Tempo giusto
INFORMATIONS
La Simphonie du Marais
Jesenka Balic Zuni, violon solo, violon piccolo et alto
Guy Ferber, trompette
Christian Moreau, hautbois
Yannick Varlet, clavecin
Hugo Reyne, flûte à bec et direction
2 CD, 1h41, Musiques à la Chabotterie, 2016.
Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
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