par Loïc Chahine · publié vendredi 18 mars 2016 · ¶¶¶¶
Tout violoncelliste, qu’il soit « baroqueux » ou « moderniste », se confronte inévitablement aux Suites pour violoncelle de Bach. Pour lui, c’est sans doute un moment important que de passer au studio pour enregistrer, fixer, et donc laisser une trace de sa vision des Suites ; pour autant, il ne s’agit pas forcément d’un acte d’orgueil, d’une façon de poser « voilà ce que j’ai fait, voilà mon œuvre » ; cela peut être fait avec moins d’orgueil. Car tout violoncelliste sait aussi qu’il n’est pas le seul
Il semble que telle soit la démarche d’Elena Andreyev : elle avance l’idée « d’un regard singulier posé sur un paysage commun » — commun, d’ailleurs, aux violoncellistes mais aussi aux mélomanes —, et l’on a envie d’ajouter que cette singularité ne se traduit nullement par une volonté de se singulariser, c’est-à-dire de se démarquer.
Dès le (célébrissime) prélude de la première suite, on entend une espèce de franchise, de sobre sincérité, une absence d’affectation ou d’apprêt. Pas de « venez et écoutez », plutôt un « il y a » ; en cela, la métaphore du paysage est très opérante : le paysage est là, il ne cherche pas à vous happer, c’est vous qui, consciemment ou non, cherchez à vous faire happer par lui. On a ici le même sentiment d’une immanence, d’une noble et joyeuse simplicité que celui qui émane du paysage que l’on observe avec un sourire d’aise, plutôt que l’étonnement devant une photo soigneusement trafiquée pour épater. Point d’esbroufe ici.
Le prélude de la seconde suite est plus dramatique, voire haletant, et avance inéluctablement, sans s’appesantir, rappelant qu’il est écrit à trois temps par mesure. Cette suite, dans son ensemble, joue davantage des contrastes, du clair-obscur.
La troisième suite commence par une phrase qui a l’air de dire « me voilà ! je suis là ! » — et ce qui s’impose, ainsi, c’est sans doute la tonalité fondamentale, l’ut majeur, zéro dièse, zéro bémol à la clef. Ce n’est pas de la prétention, c’est plutôt de la bonhomie. La suite du prélude explore les alentours, avec toujours l’air de sourire, voire de faire un clin d’œil à l’auditeur (à la fin, les accords suivis de silence, « héhé »), et tous les mouvements ainsi jusqu’à une gigue jubilatoire qui a aussi l’air de « bonhomiser », pas mécontente de son tour d’esprit.On ressort de ce parcours avec la nette impression que chaque suite n’a pas été pensée comme une simple succession de pièces mais bien comme un tout, l’impression que malgré l’apparente simplicité, il y a un vrai souffle là-derrière.
Par ailleurs, ces trois premières Suites ne cherchent pas l’immatérialité, et cela les rend terriblement accessibles et attachantes. Avec un phrasé toujours net et des sons vivants par leurs relatives imperfections, Elena Andreyev trouve un équilibre entre le chant et l’attaque, entre la chair et l’esprit.
Ce qui frappe dans cette lecture, c’est son équilibre entre un lyrisme modéré et une vision plus rationnelle, voire, reprenons ce mot à l’artiste, plus « terrienne ». Elena Andreyev laisse de côté la grandiloquence qui ferait qu’« on se demanderait à l’oreille : Est-ce qu’[elle] est en délire ? D’où vient ce Don Quichotte-là ? Où fait-on de ces contes-là ! Quelle est la planète où l’on parle ainsi ? » Elle nous présente un personnage — l’interprète ? le compositeur ? — ou bien plusieurs personnages : chacune des Suites racontant sa propre histoire — dans une attitude ouverte, aimable, racontant son histoire, pour reprendre Diderot, non comme un acteur sur le théâtre, mais comme en société, « au coin de votre âtre » : « ton familier, expression simple, maintien domestique, geste naturel ».
Est-il encore utile de préciser que le volume 2 est d’ores et déjà attendu ?
Suite I, Prélude
Suite II, Allemande
INFORMATIONS
Suites I, II et III.
Elena Andreyev, violoncelle d’après Stradivari.
1 CD, 58’, Le Petit Festival, 2015. Ce disque peut être acheté sur le site du label qui ne connaît une diffusion que relativement confidentielle, ou dans l’un des points de vente énumérés sur la page ci-dessus mentionnée, auxquels on peut ajouter, à Nantes, la librairie Coiffard.
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