par Loïc Chahine · publié jeudi 10 mars 2016 · ¶¶¶¶
Bach et Pergolèse ne seraient sans doute pas deux compositeurs que l’on rapprocherait immédiatement, si le premier n’avait pas proposé une réécriture du second — et pas de n’importe quelle œuvre, en plus : sa plus célèbre aujourd’hui ! Le Stabat Mater circula, nous rappelle Stefano Russomanno dans le texte du livret du disque, sous forme manuscrite dans toute l’Europe, et en particulier en Allemagne. Bach dut trouver l’œuvre de qualité suffisante pour l’adapter à la liturgie luthérienne en lui apposant, non sans modifier la ligne vocale, la paraphrase allemande du psaume 51 (qui est originellement le Miserere) : Tilge, Höchster, meine Sünden, « Efface, Très-Haut, mes péchés ». Mais les modifications les plus importantes concernent la fin de l’œuvre, que le Cantor a rendue nettement plus optimiste en échangeant le Quando corpus morietur et l’Inflammatus et accensus pour faire de l’Inflammatus, fort guilleret (je confesse ici que j’ai l’habitude, depuis mon adolescence, de l’appeler « la danse des bergers »), l’avant-dernier mouvement, avant un Amen lui aussi altéré, puisqu’après avoir été énoncé en mineur comme chez Pergolèse, il l’est ensuite en majeur, ce qui est tout à fait surprenant à la première écoute.
Cette première écoute, alors que, blasés que nous sommes, nous ne nous tournons plus que fort rarement vers le Stabat Mater de Pergolèse tant nous y sommes habitués, surprend agréablement parce qu’elle nous rappelle à quelle point ça marche. Les petites modifications que Bach a apportées à l’œuvre de Pergolèse piquent la curiosité et ravivent l’attention quand elle pourrait se vautrer dans le confort du déjà-bien-connu.
Ce qui frappe, surtout, c’est la qualité de l’interprétation. Rarement on aura entendu deux voix aussi bien accordées que celles de Céline Scheen et de Damien Guillon, qui s’unissent si parfaitement qu’elles semblent en mains endroits ne faire qu’une ; cette unité se retrouve dans les airs où chacun des deux partenaires semblent se faire le prolongement de l’autre, dans un autre registre vocal. On n’aura pas moins de considération pour l’ensemble instrumental Le Banquet Céleste, lui aussi très équilibré, qui joue sans vouloir en mettre plein la vue. L’une des forces de cette lecture est sans doute là : instrumentistes et chanteurs semblent n’avoir en vue que la musique elle-même, et non une volonté de dépoussiérer ou d’impressionner en donnant, avec cette musique, du nouveau. On perçoit, tout au long de cette cantate BWV 1083, une sorte de retenue très douce et finalement assez touchante.
Il y avait longtemps aussi que nous n’avions pas approché le Nisi Dominus de Vivaldi, et nous l’avons goûté avec un certain plaisir en ce que la version ici proposée demeure religieuse et évite de sombrer dans la démonstration de virtuosité — précisons que Damien Guillon n’est nullement en peine avec cette virtuosité, mais que manifestement il n’en fait pas une fin en soi ; cette partition est aussi l’occasion d’apprécier son timbre aux teintes légèrement mélancoliques. On se demande toutefois si un peu plus de drame, par endroits, n’auraient pas été bienvenu, mais comme, très égoïstement, nous aimons un Vivaldi sans trop d’excitation et de boum boum, cela nous convient bien ainsi.
Une réserve toutefois : que diantre font ces deux œuvres côte à côte ? Certes, Bach a transcrit du Vivaldi, mais c’était des concertos qui n’avaient pas grand-chose à voir avec le Nisi Dominus, quoiqu’en dise le texte de présentation qui imagine que l’on puisse considérer l’Allegro initial comme un mouvement de concerto pour soliste vocal et instruments (argument peu convaincant). N’aurait-il pas été judicieux, plutôt que de proposer cette œuvre bien connue, d’aller chercher, soit une pièce de Pergolèse non arrangée par Bach, comme le fort joli Salve Regina pour alto, soit, carrément, une œuvre inconnue qui eût profité du voisinage des noms connus de Bach et de Pergolèse pour être mise en lumière ? Ce manque d’audace dans l’élaboration du programme aurait tout à fait pu nous faire passer à côté de cet enregistrement…
Néanmoins, ceux qui en tenteront l’aventure y trouveront de réelles beautés dont il serait, avouons-le, dommage de se passer. Après tout, nous avons tous besoin, dans notre discothèque, d’une version de ce Tilge, Höchster, meine Sünden de Bach d’après le Stabat Mater de Pergolèse, et voilà justement une version qui a tout pour plaire — alors, ce petit « péché » qu’est le manque d’inventivité du programme, il faut le pardonner, et ne garder en tête que la Beauté.
Bach, BWV 1083, »Tilge, Höchster, meine Sünden«
Bach, BWV 1083, »Lass dein Zion bluhend dauern«
INFORMATIONS
Céline Scheen, soprano
Damien Guillon, contre-ténor et direction
Le Banquet Céleste
1 CD, 56’17, Glossa, 2016.
Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
D’AUTRES ARTICLES
Jakub.
On dit toujours force mal des réseaux sociaux, mais sans…