par Loïc Chahine · publié mardi 8 mars 2016 · ⁜
Alors que les six quatuors de Haydn regroupés sous l’opus 50 était jusque là parmi les moins enregistrés (le Quatuor Mosaïque, par exemple, qui avait enregistré à peu près tout ce qu’il y avait autour, était passé outre l’opus 50), voilà que paraît, quelques mois après la version du Quatuor Zaïde, une autre version, sur instruments anciens cette fois : celle du London Haydn Quartet. Rien d’étonnant, en fait, puisque cette formation avait entrepris depuis 2007 (date de parution de son enregistrement de l’opus 9) une intégrale des quatuors de Haydn ; après le célèbre opus 33 (paru en 2013), c’était donc, logiquement, le tour de l’opus 50. Allait-on retrouver les qualités qui, déjà, avait enchanté dans les réalisations précédentes et qui n’avaient fait que s’épanouir davantage au fil des opus 9, 17, 20 et 33 ?
Ayant passé du temps avec la version des Zaïde, la comparaison, qui, certes, n’aurait en soi rien de nécessaire, s’impose à l’esprit lors des premières écoutes. Tout l’intérêt de passer d’une version à l’autre est qu’on n’entend pas les mêmes choses. Là où les Zaïde mettait en avant l’unité du recueil, le London Haydn Quartet joue plutôt la carte de la variété, de la versatilité. Cela se traduit non seulement en terme d’atmosphères (le quatuor no 1 est aimable et spirituel, voire séducteur, le no 2 très apaisé, etc., jusqu’au no 6, quasi déluré), mais aussi, très concrètement, dans les tempos, beaucoup plus divers chez le London Haydn Quartet, parfois même surprenants (le Vivace initial du quatuor no 2, plutôt Moderato, mais tellement chantant, tellement aimable !), et aussi en terme de phrasés : les articulations sont beaucoup plus diverses dans cette nouvelle version. Il en résulte une lecture pleine de vivacité (la manière dont, dans l’Allegro initial du quatuor no 1, la musique, d’abord calme, paraît ensuite rebondir, est à cet égard très représentative : le contraste entre les deux éléments thématiques est parfaitement pensé et maîtrisé), sans doute moins élégante que celle des Zaïde, mais plus affûtée ; moins intellectuelle, sans doute, mais plus hédoniste.
L’hédonisme est aussi celui du son, que ce soit dans le grain, dans la forme des notes ou dans les attaques ; les quatre musiciens sont d’habiles coloristes qui se complètent à merveille, avec des sonorités moins égales que celles des quatuors modernes, mais qui, sans jamais mettre à mal l’équilibre entre les parties, apportent une variété de teintes qui à la fois satisfait la gourmandise des oreilles et aide à la compréhension de l’écriture.
Il y a, chez le London Haydn Quartet, une espèce de bouillonnement, comme une volonté de vouloir absolument tout donner à entendre de l’écriture. Et on entend, par exemple, comme rarement ailleurs, certains passages de la partie d’alto habilement mis en valeur, comme dans le Vivace assai final du quatuor no 1. Autre exemple : la manière dont est mis en avant, à chaque apparition, le motif en bariolage dans le dernier mouvement du sixième quatuor censé rappeler les grenouilles, est très éloquente ; on s’aperçoit ici que c’est une véritable invasion de batraciens qui guette cet Allegro con spirito. Cette lisibilité constante, cette ardeur à défendre la moindre note jusqu’à donner l’impression que, décidément, ces quatuors grouillent de richesse, a quelque chose de très stimulant pour l’auditeur et aussi d’enthousiasmant. Les mouvements lents mêmes, sans jamais sombrer dans l’énervement (aux deux sens du mot, opposés d’ailleurs), avancent délicatement et délicieusement, suggérant parfois un délicat balancement. Partout dans les vingt-quatre mouvements éclatent un irrésistible entrain et un charme floral.
Dans le tout dernier mouvement (Allegro con spirito du quatuor no 6), on regrettera, quelques secondes à peine, des suraigus peu gracieux — mais faudrait-il pour quelques secondes, condamner ? Certainement pas.
On retrouve ici le Haydn fantasque, toujours brillant, voire fulgurant, mais jamais frénétique, un Haydn comme on l’aime, parfois songeur, parfois plus sombre, mais tirant parti de tout et souvent souriant, voire rieur, et assurément solaire. Et on a toujours besoin de soleil.
Quatuor no 1, I, Allegro (extrait)
INFORMATIONS
London Haydn Quartet
Catherine Manson, Michale Gurevich, violons
James Boyd, alto
Jonathan Manson, violoncelle.
2 CD, 2h28’51, Hyperion Records, 2016. Une piste du disque peut être téléchargée gratuitement sur le site de l’éditeur.
D’AUTRES ARTICLES
Jakub.
On dit toujours force mal des réseaux sociaux, mais sans…