par Loïc Chahine · publié dimanche 14 février 2016 · ⁜
Il y a plusieurs années déjà que le pianiste Yury Martynov a entrepris d’enregistrer, sur des pianos d’époque, l’intégrale des symphonies de Beethoven transcrites par Franz Liszt. On peut se réjouir qu’il n’ait pas mis aussi longtemps que Liszt lui-même à nous offrir le fruit de son travail : le compositeur, en effet, a commencé en 1837 pour n’achever qu’en 1864, non sans revenir sur le travail déjà accompli au terme du parcours. On se reportera avec profit au texte de Bruno Moysan, dans le livret du disque, qui résume les étapes essentielles dans l’histoire de ces transcriptions, et analyse celle de la Neuvième Symphonie.
On pourrait s’interroger sur l’intérêt de l’enregistrement discographique d’une telle transcription. Ne fut-elle pas destinée à fournir aux amateurs (de très bon niveau) le moyen d’approcher les œuvres du Maître de Bonn parce qu’ils ne pouvaient, à l’époque, les entendre à leur guise ? N’est-ce pas une chose de praticien plus que d’auditeur ? Ces interrogations seraient sans doute plus légitimes si ce n’était pas le grand Liszt qui offrait ces transcriptions. Car on reconnaît bien ici une pâte lisztienne dans la virtuosité éclatante autant que dans la maîtrise des effets, dans la connaissance du piano comme dans la compréhension de la dramaturgie des œuvres. Il s’agit bien, ici, d’une transcription, presque d’une traduction, et non d’une simple translation. Car, comme l’écrit Bruno Moysan, transcrire la Neuvième, et en particulier son immense finale, « conduit à des arbitrages cornéliens ». Or la résolution de ces dilemmes, c’est bien de Liszt qu’elle est. Et le virtuose ne va pas toujours chercher dans la virtuosité. Il fait le choix, au contraire, de laisser beaucoup de choses de côté pour centrer sa transcription sur ce qui lui paraît essentiel.
Ce serait mentir toutefois que de nier la présence de la virtuosité — une virtuosité délicieuse, coupablement délicieuse, comme souvent chez Liszt, virtuosité magnifiée par le jeu haut en couleur de Yury Martynov, par l’instrument choisi et par la prise de son, superbe. C’est un Blüthner qui a été choisi, construit vers 1867, c’est-à-dire deux ans après la parution de la transcription ; Liszt, dans son introduction, fait justement mention « des perfectionnements apportés dans le mécanisme » des instruments ; le choix d’un instrument dont la construction est contemporaine de la fabrication même de la transcription nous paraît tout à fait judicieux. Ce Blüthner est plein de qualités ; le son en est rond, suffisamment brillant sans l’être trop ; il possède une très belle résonance, un son légèrement mat encore, des aigus éclatants, des graves chaleureux. Yuri Martynov sait l’exploiter à fond, le faire miroiter doucement comme le pousser au bord de l’explosion, lancer les graves comme des bombes et les aigus comme des fusées. C’est véritablement un feu d’artifice, car on s’étonne jusqu’à la fin de la variété des couleurs dont l’instrument et l’instrumentiste nous régalent.
Mais au-delà de ce caractère épatant, ce qui frappe, c’est justement qu’ainsi « réduite » pour piano seul, et servie par un interprète de grand talent, la Neuvième Symphonie prend soudain un tour plus intime. On se sent soudain bien proche d’elle, comme si, tout en gardant quelque chose de sa grandeur et de sa fulgurance, elle devenait en même temps plus « à taille humaine ». L’apparition du thème de « l’Ode à la joie », par exemple, tout en douceur et en noblesse, est tout à fait émouvante. On se retrouve à écouter cette œuvre que l’on connaît finalement assez bien avec une oreille un peu nouvelle — pas totalement, car il y a plaisir à se dire « tiens, il a fait ça, ici… ah, et ce passage, je le reconnais, je ne l’avais jamais reçu comme ça… » — et avec une certaine tendresse.
Voilà donc un disque tout à fait réjouissant et qui, s’il pourrait sembler anecdotique de prime pensée, ne l’est pas tant qu’il le paraît. In fine, on a véritablement l’impression d’écouter non une synthèse de Beethoven et de Liszt, mais un palimpseste qui soit à la fois du Beethoven et du Liszt. On en vient à regretter que Liszt (et Yury Martynov) n’ai(en)t pas fait la même chose avec les symphonies de Mahler.
I, Allegro ma non troppo, Un poco maestoso
INFORMATIONS
Yury Martynov, piano Blüthner, vers 1867
1 CD, 70’52, Alpha (Outhere Music), 2016.
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